Monday, January 15, 2007














Les Héritiers des "Plébéiens"
Ou les finesses du "comportement civilisé"

Depuis qu'ils ont déclenché leur mouvement visant à renverser le "Gouvernement Feltman", les tribuns de l'opposition ne manquent pas une occasion de nous rappeler le caractère pacifique et "civilisé" de leurs actions.

Les "déshérités" lancés à l'assaut du centre-ville, où ils campent depuis six semaines, rivalisent d'ingéniosité pour nous donner chaque jour une nouvelle leçon de savoir-vivre et une nouvelle preuve de civilité (pour le détail lire l'article de Youssef Bazzi).

La transformation rapide du cœur de la capitale en un "jardin des délices" digne de Jérôme Bosch soulève une question cruciale quant aux raisons profondes qui conduisent les chantres autoproclamés de la moralité à autoriser la dégradation systématique des lieux publics. La nuisance délibérée serait-elle un remède contre la fascination et la convoitise ? Permettrait-elle aux affamés de manger enfin à leur faim ?

Que les lecteurs hâtifs ne s'y méprennent pas ! cette nuisance n'est pas l'apanage de "masses" appartenant à une communauté particulière. Si des Chiites et des Maronites d'un certain clan se distinguent aujourd'hui dans ces "prouesses", des générations de sunnites, de druzes, des maronites d'un autre clan et, pour ne léser personne, de musulmans et de chrétiens se sont illustrés, par le passé, dans des prouesses similaires sinon pires.

Pour les imbéciles de tout poil qui vous répètent inlassablement que ces comportements ne correspondent pas à la "vraie nature" des Libanais, osons leur clouer le bec une fois pour toutes et affirmons haut et fort qu'au contraire, ces comportements font partie intégrante de la "culture" de l'immense majorité des Libanais et répétons après Bertolt Brecht qu'il est "toujours fécond le ventre qui enfanta la bête immonde". Peu importe si ces "masses" sont instrumentalisées par des leaders charismatiques et si la "servitude volontaire" continue à opérer longtemps après Etienne de La Boétie, il revient aux prétendus "affranchis" de ne plus se voiler la face, de reconnaître la réalité de la "bête immonde" et d'entamer les réformes nécessaires pour qu'il ne soit plus ainsi.

À l'instar des Tribuns Plébéiens de la Rome antique, ceux du Hezbollah sont des sacro-sanctus (intouchables). Comme toute action qu'ils entreprennent est "divine" par essence, ils se sont investis d'une mission d'auxilium qui les autorise à défendre les intérêts de la Plèbe dans son ensemble.

Comme les Plébéiens d'hier, ceux d'aujourd'hui réclament le droit de veto (jus intercessionis). Lorsqu'ils jugent qu'une action d'un magistrat en exercice (Gouvernement Feltman), quelle qu'elle soit, menace les intérêts de la plèbe, ils s'y opposent et la suspendent, l'empêchant de convoquer une assemblée, de procéder à une élection, ou au vote d'une loi, ou même d'interroger le Sénat (le Parlement). Le dispositif législatif est ainsi bloqué à sa source même.

Pensez-vous que j'affabule ? Consultez vos livres d'histoire et vous serez frappés par la bijection (vous m'excuserez ce terme mathématique) qui existe entre la Plèbe Romaine et la Plèbe Libanaise !

Mais, me diriez-vous, que fait le Général dans tout cela ? Figurez-vous que la Plèbe de Rome avait aussi ses Dictateurs. Michel Aoun n'a donc aucune raison de s'inquiéter. Au Liban, le poste est toujours vacant !