Thursday, January 27, 2011



















Petites trahisons entre amis

En politique, on est toujours le traître de quelqu'un. Ce n'est jamais ad hominem, s'empressent de jurer tous les traîtres en expliquant avec force arguments que leur acte est avant tout politique, uniquement politique et rien que politique. Ben voyons !

Dans les pays dits démocratiques et civilisés, on trahit presque toujours par opportunisme. Tirer parti des circonstances, transiger un peu sur les principes relèvent tout simplement du b. a.-ba de la politique. La chose est donc parfaitement banale et suscite le plus souvent un hochement de tête entendu. "Vous allez peut-être m'accuser d'opportunisme. Pourtant ce barbarisme cache une vraie politique", disait Léon Gambetta.

L'opportuniste est un animal qui s'agrège à la majorité du moment, qui n'a d'autre opinion que celle du parti dominant, qui se fait le séide ou le client du pouvoir, quitte à en obtenir des avancements et des faveurs. Que les majorités se succèdent, que les partis alternent plus ou moins au pouvoir, que la nature ou la structure du pouvoir lui-même soient sujettes à des changements, l'opportuniste n'en a cure: il change avec eux, voilà tout: Tempora mutantur, et nos mutamur in illis.

Au Liban, pays prétendument démocratique et prétendument civilisé, sauf lorsqu'on élimine ses adversaires à coup de voitures piégées, ou qu'on les découpe à la hache, on trahit tout aussi allègrement qu'ailleurs. Certains en ont fait leur marque de fabrique comme Walid Joumblatt, spécialiste du coup de poignard dans le dos. D'autres, et ils sont légion, le font souvent par ambition. Michel Aoun en est la figure emblématique. Son idée fixe, folle, dévastatrice le dévore. Elle l'a conduit à tous les reniements et ne se consumera qu'avec lui. Pauvre Iznogoud !

Mais ces deux grandes figures de la trahison ne doivent pas nous faire oublier le menu fretin. Il serait fastidieux de les énumérer tous, mais si l'on passait en revue l'ensemble du cheptel politique, rares sont ceux qui n'auront rien à se reprocher et l'on trouvera toujours en scrutant un peu une petite tâche sur leur front. On parle toujours politique, n'est-ce pas ?

Ce palmarès de la honte n'est pas réservé à un seul camp, loin de là, mais il arrive qu'on accorde plus d'attention aux transfuges qui défrayent la chronique (Joumblatt, Miqati, Safadi, Fattouch..) sans s'attarder sur ceux qui ont été trahis. C'est normal, puisqu'ils font figure de victimes et l'on est plus enclin à se lamenter sur leur sort qu'à les blâmer. Mais sont-ils vraiment aussi blancs qu'ils le prétendent ?

Saad Hariri en est le cas exemplaire. Ce doux agnelet nous est présenté aujourd'hui comme la victime expiatoire d'une ténébreuse machination. Il est l'homme qui a eu le courage de dire non à la dernière minute et qui a su résister tant bien que mal à une campagne d'une rare férocité menée par une dictature génératrice de chaos et de mort et par un parti armé, passé maître ès exactions et brigandages.

Mais ce que l'on oublie volontiers de souligner, c'est que ce grand dadais, transformé aujourd'hui en héros, avait déjà cédé sur les trois principaux points qui avaient fait l'objet des longues négociations syro-saoudiennes. Qu’il ait agi de son propre chef, obéi aux directives de son parrain saoudien ou cédé aux pressions du malfrat syrien, le résultat est le même. En un mot, Saad Hariri a trahi, lui aussi. Son refus de dernière minute n'avait rien à voir avec les principes pour lesquels il s'était battu, mais était plutôt motivé par les quelques menus avantages que ses ennemis étaient censés lui céder en contrepartie avant de se rétracter. Tout obtenir sans rien céder est la méthode syrienne par excellence. Seuls les imbéciles continuent à s'en étonner, à commencer par le roi saoudien qui n'a même plus assez de temps pour s'en mordre les doigts. Bon vent !

Hassan et Bachar voulaient le beurre, l'argent du beurre, la laitière, les œufs, les vaches et les poules. Tout, absolument tout et rien en échange. Saad Hariri peut aller tranquillement pleurnicher dans le giron de son roi fossile qui l'a trahi à son tour en donnant le feu vert à la nomination de Miqati. Il apprendra peut-être avec l'âge ce qu'est le prix de la niaiserie.