Tuesday, October 28, 2008













Ziad Rahbani et son "juif" musulman

C'est un juif ! Personne ne lui a posé la question, mais il y a répondu quand même. À quoi bon s'encombrer de questions quand on a des certitudes. Ziad Rahbani était sûr de son fait. Il a prononcé son oukase sans ciller. Anouar Brahem* est un juif, et puisqu'il le dit, c'est que c'est vrai. A-t-on idée de contester les paroles d'un artiste chéri des foules ? N'a-t-il pas proféré son anathème depuis Damas, le "cœur battant" de l'arabisme ? N'y a-t-il pas été applaudi cinq soirées d'affilée par des "masses" enthousiastes ? Alors, il peut se sentir libre de débiter toutes les âneries qu'il veut, il peut même se donner tous les droits, y compris celui d'être abject, à défaut d'être stupide !

Comme son nom l'indique, Brahem est "sûrement" un juif. Circulez, il n'y a plus rien à rajouter !

A-t-on vraiment besoin de savoir que l'homme est musicien, ou qu'il est tunisien par exemple ? Sa "judaïté" ne suffit-elle donc pas à le définir et à le résumer. Ainsi pense le grand Ziad Rahbani. Doit-on en déduire que le Marx qu'il a découvert sur le tard et dont il se gargarise à longueur d'articles, n'est pour lui qu'un simple "juif" ? Quid de Noam Chomsky et Seymour Hersh, dont les écrits sont vénérés par Al-Akhbar, son journal favori ? Ne sont-ils donc que des juifs eux aussi ? Manifestement, Ziad Rahbani n'y a pas pensé, pressé qu'il était d'en découdre avec un musicien non juif, mais mondialement connu et apprécié.

Peu nous importe l'appartenance religieuse d'Anouar Brahem, mais faudrait-il pour rectifier l'erreur, être obligé de démentir sa "judaïté" fabriquée de toutes pièces et de brandir son acte de naissance pour prouver qu'il est "musulman" ? Ce serait l'insulter doublement. D'abord, et n'en déplaise aux Libanais, parce qu'on ne définit pas un homme par sa religion, ensuite parce qu'en voulant le défendre, la dernière chose à faire serait de répéter la même ignominie, mais à l'envers. Alors, pourquoi l'affirme-t-on ici ? Uniquement parce qu'Anouar Brahem lui-même a été acculé à le faire et s'il l'a fait, c'est probablement pour effacer ce qui est unanimement considéré dans l'abrutissement général comme une insulte (lire ici son article).

Pourquoi Ziad Rahbani s'est-il abandonné à ses bas instincts ? Est-ce par mimétisme avec le "peuple" dont il avait repris le parler cru pour agrémenter ses pièces de théâtre à succès ? Est-ce pour mieux épouser la pensée sectaire et raciste de ses nouveaux maîtres politiques ? Nul ne le sait. En tout cas, il a desservi beaucoup plus qu'il ne le croit la cause qu'il croyait défendre. A-t-il oublié que ce "juif" qu'il méprise appartient au même camp que lui ? Ne se souvient-il pas que ce même juif avait "vibré" à l'unisson avec lui aux premières nouvelles de la "victoire divine" ? N'était-il pas présent lors de la projection de "Mots d'après guerre", le film tourné par Brahem par solidarité avec une "élite" libanaise tétanisée par la guerre ? Ne se rappelle-il pas comment les tchékistes d'Al-Akhbar se bousculaient sur scène pour rendre hommage à celui qui a "ressuscité" un Joseph Samaha déambulant avec fierté dans les ruines de la banlieue sud de Beyrouth ?

Non, Ziad Rahbani n'a rien oublié de tout cela, mais il exprimait tout simplement sa rage de voir un grand artiste, qui a réussi à marier avec bonheur des musiques venant d'horizons multiples, atteindre la renommée mondiale pendant que lui se morfondait dans une frustration revancharde et une incapacité persistante à créer autre chose que des musiquettes qui n'arrivent même plus à séduire son public autochtone.

* En guise d'hommage à Anouar Brahem, le "juif" de Ziad, le lecteur est invité à découvrir en cliquant ici, "Le pas du chat noir", une pièce méditative pleine de couleurs et de fragrances subtiles, de retenue aussi.