Wednesday, May 12, 2010













The Ghosts of Martyrs Square
An eye witness account of Lebanon’s life struggle
Michael Young

Libertés dans les interstices

Michael Young, Who else ? En effet, qui d’autre mieux que Michael Young aurait pu faire le récit et dresser le bilan de la "révolution du cèdre" ? L’éditorialiste du Daily Star réunit en lui toutes les qualités naturelles ou acquises pour décrypter au plus près les évènements qui ont bouleversé le Liban au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri. Il y a d’abord, cette double identité (libanaise et américaine) qui lui permet de porter un regard différencié (externe et interne) sur le déroulement des faits. Un courage assez rare dans un milieu où le sauve-qui-peut est la règle, une langue qui porte naturellement à la concision, mais qu’il manie avec maestria et qu’il sait adapter avec bonheur quand il lui faut brosser un portrait ou décrire un retournement de situation. Ajoutez à cela la rigueur de ses analyses, la clarté de ses explications et la précision de ses conclusions et vous aurez le journaliste qu’il faut pour s’atteler à la tâche.

Et, Michael Young ne déçoit pas. Dans son livre The Ghosts of Martyrs Square, il nous offre un récit palpitant, émouvant, truffé de moments forts, de rebondissements, de menues victoires et de très grandes déceptions. Michael Young ne prétend pas à l’objectivité, c’est en observateur passionné qu’il plonge au cœur des évènements pour en débrouiller l’écheveau et nous révéler les intrications, les enjeux et les ramifications. Il le fait sans circonlocutions inutiles et désigne dès les premières pages le régime syrien comme le "coupable le plus sérieux" de l’acte criminel générateur. Certes, Michael Young n’innove en rien en la matière, beaucoup d’autres l’ont fait à la faveur de l'Intifada et parfois payé de leur vie. Au lendemain de l’assassinat, beaucoup de langues se sont déliées, à commencer par celles des Libanais qui par centaines de milliers ont crié leur révulsion et exigé le départ des troupes syriennes. Cinq ans après, c’est le vide sidéral et la chape de plomb est retombée. Vaincus, les Libanais se taisent et leurs politiques se bousculent à nouveau dans l’antichambre du dictateur. Le courage de Michael Young est justement de ne pas succomber aux sirènes de la conciliation forcée et de continuer avec la même virulence de faire le procès du régime syrien et du parti chiite armé qui en a pris le relais dans la sape des institutions, la destruction de l’Etat et l’étouffement de toute velléité d’indépendance.

Mais le livre n’est pas que le récit d’une Intifada qui s’est prise pour une révolution et qui a fini par s’effilocher sous les coups de boutoirs d’une contre-offensive généralisée menée tous azimuts par la Syrie, l’Iran et leurs connexions locales. Michael Young s’appuie sur les évènements pour poursuivre un projet plus ambitieux, celui d’expliquer le paradoxe du système "libéral" libanais. Comment un pays, dépecé par l'antagonisme permanent de ses communautés, peut-il se maintenir en vie et comment les Libanais parviennent-ils à gérer leur schizophrénie identitaire ? Michael Young apporte une réponse simple qui repose sur un constat simple: Les négations finissent toujours par se neutraliser mutuellement et de ce jeu d'équilibre, naissent des espaces de liberté. Autrement dit, le système bien que reposant sur des équilibres métastables éphémères et en dépit des convulsions récurrentes qui le secouent, parvient toujours à générer les conditions de sa survie. Mais ceci n'est vrai que partiellement, car ce statisme est loin d'être immuable. Le système libanais est un système "ouvert" qui n'évolue pas uniquement en fonction de sa dynamique interne. Son évolution demeure imprévisible en dépit du fait que ses composantes soient souvent gouvernées par des lois supposément déterministes.

Le cas du Hezbollah illustre parfaitement ce qui précède. L'émergence du parti chiite armé dans le paysage libanais a imprimé une évolution asynchrone à l'ensemble du système et rien n'empêchera le pays de sombrer à nouveau dans une guerre civile ou régionale qui feront voler en éclats tous les équilibres intercommunautaires et les espaces de libertés qu'ils génèrent spontanément.

Est-ce que le Liban peut échapper à sa condition de système chaotique ? L'émergence d'un État fédérateur pourrait éventuellement contribuer à "stabiliser" le système, mais cela suppose l'existence de forces capables de porter les réformes facilitant cette émergence. Or, les dynamiques communautaires sont antinomiques avec la naissance d'une "classe trans-communautaire" plus forte que les communautés réunies et disposée à abolir le système confessionnel. La "révolution du cèdre" a pendant un laps de temps laissé croire que la cristallisation de ce type de classe était possible, mais très vite, les "conditions initiales" ont repris le dessus et chaque communauté a réussi à faire rentrer ses "enfants prodigues" dans le rang.

Les fantômes de la place des martyrs sont des fantômes qui hantent tous les Libanais et ce n'est pas le moindre avantage du livre de Michael Young que d'en avoir exorcisé quelques uns. Un livre passionnant et un vibrant manifeste pour la liberté. À lire sans tarder pour prendre la mesure de la capacité infinie des Libanais à se battre contre l'adversité et de jouir des libertés qui leur sont laissées dans les interstices d'un système sclérosé.