Tuesday, October 14, 2008












Labayka ya Aounallah, labayk !

Ceux qui s'offusquent de la visite de Michel Aoun à Téhéran et de ses attaques concomitantes contre l'Arabie Saoudite devraient ravaler leurs aigreurs et contempler plutôt les retombées de la stratégie adoptée par le Général depuis son retour au Liban après quinze ans d'exil. Ni cette visite en Iran, ni une autre à venir en Syrie, ne doivent les surprendre, elles s'inscrivent toutes les deux dans une même logique dont la mise en œuvre suit un processus linéaire depuis la signature de la fameuse "entente" entre le CPL et le parti chiite armé.

On peut affubler Michel Aoun de toutes les tares du monde, le taxer de traîtrise ou de lâcheté, de populisme ou de sectarisme, la liste est longue et extensible à souhait, mais on ne pourra jamais le prendre pour un idiot. Au-delà des erreurs réelles (ou supposées) qui auraient été commises par ses ex-alliés "naturels" du 14 mars et qui avaient eu comme conséquence de le précipiter dans les bras de la Syrie et du Hezbollah, le Général n'avait pas d'autre choix pour se tailler une place au soleil que de braver la règle sacro-sainte qui avait été à l'origine de la fondation de l'État libanais. Michel Aoun a fait le pari de chevaucher la déferlante chiite, seule capable, selon ses calculs, de balayer l'attelage historique entre maronites et sunnites puis entre sunnites et maronites.

Le Général n'avait que faire d'une "libanité" sunnite émergente qui a commencé à se libérer de son carcan idéologique panarabe au lendemain de l'assassinat de Rafic Hariri. Tout son pari reposait sur une idée simple qui voyait dans cet assassinat le seul moyen capable de fermer définitivement la parenthèse ouverte par l'accord de Taëf qui avait permis aux sunnites d'usurper le pouvoir qui revenait "de droit" aux maronites. Pour lui, le vent avait donc tourné et l'heure de la vengeance était arrivée.

Le petit Caudillo de province savait pertinemment qu'en pariant sur le cheval chiite il n'allait pas nécessairement recouvrer les "droits perdus", mais peu lui importait dès lors qu'il pouvait prétendre avoir essayé et se faire grâce à cette imposture une belle place au soleil.

À la lumière de ce pari, tout le cheminement de Michel Aoun depuis son retour d'exil devient parfaitement limpide. Ainsi, lorsqu'il disculpe la Syrie de tous ses crimes au Liban, lorsqu'il attaque ouvertement l'Arabie Saoudite et lorsqu'il affirme que l’Iran "œuvre en faveur de l’unité du Liban" ou que l'Iran "n’a jamais aidé un parti libanais contre les autres", il procède d'une logique cohérente. En échange du soutien électoral et financier qui lui est prodigué par ses alliés, il devait s'acquitter de la sale besogne. Force est de constater qu'il s'y dévoue corps et âme. Si l'épouvantail d'une "fitna" interdit au Hezbollah de se lancer dans des attaques ouvertes contre les sunnites, rien n'empêche un maronite de le faire puisqu'il n'y a aucun risque de voir ces attaques dégénérer en une guerre "anachronique" entre chrétiens et musulmans dont les conditions n'existent plus.

Mais cette logique ne vise pas seulement à consolider l'alliance entre le CPL et le Hezbollah, ni à se prêter main forte en prévision des batailles électorales à venir, ce qui se profile à l'horizon est bien plus important. Malgré les allusions à peine voilées de l'un et les dénégations répétées de l'autre, toutes leurs actions passées et futures ont pour objectif la remise en cause de l'accord de Taëf et la redistribution du pouvoir selon de nouvelles modalités qui tiendraient compte du poids grandissant de la communauté chiite dans le jeu interconfessionnel libanais.

Le plus ironique dans l'histoire, c'est que les Chrétiens, dont le Général réclame à corps et à cris les droits usurpés, ne pourront plus prétendre à une part aussi belle que celle dont ils jouissent actuellement grâce à l'accord décrié. Cela aussi, Michel Aoun en est conscient, mais peu lui importe encore une fois de sacrifier les "intérêts" de sa communauté et de les brader pour quelques deniers d'argent "pur" dès lors qu'il va se venger de ceux qui l'avaient rejeté à son retour d'exil.

La bataille n'est pas encore jouée et le Liban connaîtra beaucoup de convulsions avant que le rêve fou du Général ne puisse se réaliser. En attendant, ses nouveaux amis iraniens pourront le traiter avec tous les égards dus à un Judas volontaire et malléable à merci. Quant à ses alliés khomeynistes libanais, ils peuvent d'ores et déjà l'élever au rang de leur chef adoré et le saluer comme ils le font d'habitude avec Hassan Nasrallah en criant à l'unisson à son retour de pélerinage: Labayka ya Aounallah, labayka ya Aounallah !