Thursday, September 15, 2005

Le Confessionnalisme au Liban
Linéaments d’une Réforme annoncée

par Ahmad Beydoun


Un malaise généralisé

Les Libanais ne dorment pas tranquilles dans les bras de leur système confessionnel qui sont nombreux. Les adeptes les plus convaincus de ce système arrivent mal à se défaire d’un certain malaise (variable en intensité, il est vrai, selon les situations et les personnes) qui affecte leur adhésion. L’expression de ce malaise prend des formes diverses. On préfère éviter, par exemple, l’usage des mots “communautés” et “confessionalisme” quand il s’agit de qualifier la société libanaise, son régime et ses composantes. Les termes alternatifs ont varié, au fil du temps, avec le registre suceptible de rendre noble et sublime ce qui est vécu comme inférieur et suspect. Aussi avait-on gardé l’habitude de parler de “familles spirituelles” jusqu’au moment où l’emprise des familles sur le pays devint la cible facile d’une critique qui la taxait de réactionnaire. On prit alors l’habitude de parler de “groupes culturels”, le “pluralisme” et la “diversité” étant devenus, entretemps, une valeur que les sociétés et leurs sysèmes politiques faisaient leur et qu’ils se devaient de préserver.

Ceux-mêmes d’entre nous qui acceptent d’appeler leurs communautés par leur nom refusent, en général, de voir expliquer leur comportement par le confessionnalisme. Pour eux, ce dernier semble être autre chose que la simple affiliation à une communauté confessionnelle et la défense des intérêts de cette dernière contre ceux des autres communautés ou de certaines d’entre elles. Tout au contraire, on tend, par principe, à exclure la notion de conflit de la terminologie descriptive des relations inter-communautaires. Et si, dans un cas d’extrême nécessité, l’on se trouve forcé de reconnaître à cette notion une valeur descriptive, on se hâte d’attribuer à l’”autre” communautaire la responsabilité de cet état de fait, d’ailleurs vite considéré comme anormal et passager. Normalement, les fils dont le réseau des rapports inter-communautaires seraient tissé ne pourraient être que ceux de la libre association, de l’acceptation de l’autre et du rejet de tout fanatisme. Ce serait des fils de dialogue et de compréhension mutuelle et jamais de conflit. Et si, malgré tout, l’on admet la possibilité de divergences inter-communautaires, on se hâte d’opposer à l’éventualité de leur transformation en conflit les miraculeuses capacités que, selon ses hérauts, le système possède de faire triompher l’esprit de négociation et de compromis.

Cette réticence à donner à la lutte politique droit de cité parmi les dimensions du confessionnalisme politique (ou même d’admettre que la lutte, comprise absolument, puisse découler du confessionnalisme sans plus) impose aux partisans du système confessionnel une tâche bien ardue. En effet, ils prônent l’adoption du confessionnalisme comme fondement de la représentation et de l’action politiques, mais refusent de rapporter au confessionnalisme tel conflit, quel qu’il soit, qui surgirait pendant que les politiques font leur métier. Or le métier des politiques n’est autre que l’initiation et la gestion de conflits (les alliances dépendant normalement de cet état de fait et non l’inverse). Il en découle que les défenseurs du système passent leur vie à prétendre que le critère confessionnel doit bien présider à la sélection des politiques mais ne doit jamais intervenir dans la définition de leur action, c’est-à-dire des conflits qui les opposent. Cependant, le caractère confessionnel d’un conflit pouvant bien s’imposer et s’avérer indéniable, les adeptes du système font vite, dans ce cas, de dénoncer le conflit en question et de trouver (dans le camp des “autres”) une partie qu’ils accusent d’engluer les comportements politiques dans le confessionnalisme. Telle est l’aporie que les défenseurs du confessionnalisme politique proposent aux Libanais en guise de justification de ce sytème. Il s’agit – nous allons y revenir – d’une mystification. Celle-ci a beau être vitale pour la survie du système et la structuration de l’État, elle n’en demeure pas moins une mystification.

À y regarder de près, ce malaise que le confessionnalisme entretient chez ses adeptes, les poussant à refuser de tirer les conséquences de leur choix, laisse transparaître une crainte précise: celle de voir une communauté confessionnelle déterminée s’engager tout entière dans un conflit axé sur des intérêts vitaux, qui l’opposerait à une (ou à plusieurs) autre(s) communauté(s). Tel est le type de conflits auxquels les partisans honteux du confessionnalisme réserveraient volontiers l’épithète “confessionnaliste”. Échapperait à cette catégorie et serait simplement politique tout face-à-face de fractions de communautés qui s’affronteraient autour d’un butin à saisir ou d’une sanction à éviter.

Il s’agit là, il est vrai, de deux types de conflits inter-communautaires aux aboutissements respectifs fort différents l’un de l’autre. La polarisation d’une communauté entière contre l’État et d’une autre pour prendre la défense de l’État ne pourrait qu’entraîner la perte de ce dernier. Quant aux conflits où se trouveraient engagés des fractions de communautés alors que d’autres resteraient à l’écart et où les positions des représentants politiques d’une même communauté s’avéreraient diverses, ils appartiennent à une catégorie dont l’État s’accommode fort bien et qui ne nuit pas nécessairement à ceux qui s’y trouveraient impliqués. Il n’empêche que ce sont là des conflits inter-communautaires également puisque – tout compte fait – la légitimité des parties et leur qualification pour s’y engager trouve son ultime origine dans la représentativité communautaire des parties, c’est-à-dire dans le fait qu’elles constituent des forces de frappe de leurs communautés respectives ou simplement des fractions de celles-ci.

Néanmoins, cette distinction de deux catégories de conflits possibles demeure pertinente dans la mesure où elle souligne l’intention d’appartenir à un espace méta-communautaire, autrement dit à un peuple et à un État. Vitale, cette déclaration d’intention reste ici bien faible et plus ou moins consciente de sa faiblesse. Elle laisse transparaître la nécessité de mettre entre parenthèses les appartenances communautaires afin qu’une pratique proprement politique prenne consistance. Toutefois, cette mise entre parenthèses prend ici une allure d’occultation ou d’exclusion du confessionnalisme de la liste des termes retenus pour décrire le cours de l’activité politique dans le pays. L’occultation cache mal la reconnaissance implicite de l’attribut confessionnel – même enveloppé de silence ou de dénégatiuon – comme primordial puisque fondateur de l’activité en question et caractéristique des parties qui s’y trouvent engagées. Ce qui fait miroiter, en permanence, la possibilité de passer de la deuxième sorte de tiraillements qui met en présence des fractions de communauté (et que l’on agrée tout en passant sous silence son caractère inter-confessionnel) à la première catégorie où des communautés entières tendent, en s’exprimant à travers leur représentation politique encore capable de se faire valoir, à s’ériger en parties en conflits. De cette catégorie, on reconnaît volontiers le caractère confessionnel mais, en même temps, l’indésirabilité. On la sait, en effet, synonyme de guerre et de dissolution de l’État.

Au cours de ces dernières années, un son de cloche (nullement nouveau, en fait) est devenu plus insistant. On nous propose de distinguer un confessionnalisme malin, à force d’être excessif (et dont il conviendrait de nous débarrasser), d’un autre bénin qui serait la modération même car il consisterait en la sauvegarde de la diversité, des libertés et d’autres valeurs, également sublimes, que l’on rattache couramment à la formule libanaise. Ce qui est nouveau, par contre, c’est la tendance des adeptes de ce discours à isoler nominalement (et, espère-t-on, conceptuellement) le confessionnalisme de certains phénomènes dont s’alimentaient précisément l’argumentation anti-confessionnaliste et – en même temps – le sentiment d’embarras des pro-confessionnalistes. Ainsi s’est-on mis à expliquer que la racine du mal ne résidait pas dans le confessionnalisme mais bien plutôt dans le clientélisme, tout en prétendant ou – du moins – en laissant entendre que le second ne procédait nullement du premier.

Or, à isoler ainsi (au niveau du concept) un objet de l’un de ses modes d’apparition, l’on ne se trouve guère avancé dans la recherche d’un remède. Susceptible, certes, de se manifester dans un contexte autre que celui du confessionnalisme, le clientélisme ne peut jamais se passer d’une ‘asabîya qui le couve. Le confessionnalisme n’étant, au départ, qu’une des figures possibles de la ‘asabîya, le clientélisme a pu, au cours de l’histoire contemporaine du Liban, procéder de lui autant que d’autres ‘asabîya dont surtout celle du clan et celle de la région ou de la localité. Cependant, les circonstances de la guerre du Liban et celles de ses lendemains ont tendu à réduire l’efficience de ces dernières ‘asabîya au bénéfice de la préeminence déjà confirmée du confessionnalisme en tant que support des pratiques clientélaires. Si donc il demeure légitime de maintenir la séparation conceptuelle en question, la raison de cette légitimité est bien le fait que le clientélisme est nécessairement étranger au confessionnalisme là où ce dernier fait défaut et qu’il peut ne pas procéder exclusivement du confessionnalisme là où d’autres ‘asabîya prédominent. Jamais ladite séparation ne peut tabler, dans son principe, sur l’idée que le règne du confessionnalisme puisse se passer de clientélisme. Si l’on s’entêtait encore, au niveau, cette fois, de la réalité vécue et de la recherche de solutions pratiques, à maintenir la même séparation, on buterait, dans le Liban d’aujourd’hui, sur un milieu encore moins réceptif qu’il ne l’était hier, le confessionnalisme ayant consolidé sa dominance en comparaison avec d’autres garants de divers phénomènes et pratiques dont le clientélisme. Aussi, cette volonté d’isoler la ‘asabîya confessionnelle de l’une de ses manifestatations (le confessionnalisme) paraît-elle arbitraire au niveau de son principe et retardataire par rapport à la conjonctutre où elle est exprimée. Au surplus, le clientélisme n’est manifestement pas l’unique fléau issu du confessionnalisme pour qu’il soit possible, en éliminant le premier, d’absoudre ce dernier de tous ses péchés.

Déclaré ou dissimulé, ce malaise qu’inspire le confessionnalisme et cet embarras qu’on éprouve à prendre sa défense semblent être très répandus parmi les Libanais, pour autant, du moins, que les discours d’intellectuels sont expressifs d’attitudes collectives. On en trouve même des traces bien marquées chez un Michel Chiha pourtant revêtu par la rumeur de la froque de grand prêtre du régime confessionnaliste, soucieux de sa préservation et chantre de ses bienfaits. Chiha reproche aux détracteurs “laicistes” de ce régime leur dogmatisme livresque et leur tendance à imposer un modèle importé (de France, peut-on supposer) à une société qui le rejete et ne pourrait s’en accommoder. Cependant, Chiha ne cache pas, par endroits, le fait que son acceptation du confessionnalisme, loin d’être un choix, est l’expression d’une nécessité qui ne va pas sans regret. Il n’exclut pas une atténuation, avec le temps, puis une extinction des particularismes communautaires. Il prône, sans hésitation, une réforme du système dont le point de départ serait la déconfessionnalisation, au profit du mérite, de l’Administration publique. Pour lui, c’est le Parlement qui constitue le forum où les communautés sont sensées dialoguer afin d’ordonner leur marche de “minorités associées” et de gérer leurs affaires communes.

Il sied de signaler ici que les années d’après-guerre ont apporté la preuve de la non-pertinenece de cette hypothétique mise à l’écart dont ferait l’objet l’Administration publique déconfessionnalisée par rapport à une politique demeurée confessionnaliste. En effet, il est hautement improbable que des politiciens soucieux de plaire à une base à caractère communautaire et se prévalant d’une représentation du même type s’abstiennent d’accorder leur appui à des fonctionnaires faisant partie de leur mouvance. Ils continueront plutôt à s’attacher ces clients par le fait d’avoir assuré leur nomination et de les protéger afin, précisément, de garantir leur coopération. De leur côté, les fonctionnaires résisteront difficilement, dans ce contexte, à la tentation d’accepter une protection et un appui dont ils ont besoin pour leurs bonnes actions et, encore plus, pour les mauvaises. Ce n’est là, en tout cas, qu’une parenthèse.

Chiha à qui l’on attribue aussi la caractérisation du Régime libanais comme étant une “fédération de communautés” (en dépit du fait que la Constitution décrit un État centralisé), n’oublie pas, en parlant du Régime présidentiel américain, de désigner le Sénat comme étant l’institution de représentation fédérale, par excellence. Ce statut serait souligné surtout par la représentation à égalité des États sans égard pour leurs dimensions. La difficulté d’appliquer ce même principe, dans le cas libanais, le jour où la création d’un Sénat, prévue par l’Accord de Taef, pourra prendre effet, n’est que trop évidente. Il faudra néanmoins faire nôtre la sagesse contenue dans ce principe si l’on veut que la distribution des sièges du futur Sénat soit en phase avec la mission principale à laquelle ce dernier est destiné. À savoir: veiller à ce que la déconfessionnalisation ne se mue pas en confessionnalisme déguisé, discriminant les citoyens ou les privilégiant selon leur appartenance communautaire. Nous nous trouvons là, en fait, face au clivage décisif autour duquel se définissent les positions pour ou contre le confessionnalisme ou son dépassement. Au lieu de lever les hypothèques qui écartèlent la société, y cultivent la violence, pèsent sur la souveraineté du pays et corrompent l’État de la base au sommet, la déconfessionnalisation se traduirait-elle par l’anéantissement de l’unique (mais très substantiel) avantage du régime confessionnel, à savoir le barrage qu’il oppose au despotisme uni-communautaire et sa préservation, par conséquent, d’un nombre important de libertés et de droits?

La conclusion que nous voudrions tirer de ce préambule est que l’attitude confessionnaliste elle-même – sans parler de son contraire – couve une profonde indécision. Il s’agit là d’un argument parmi d’autres dont l’appel à la déconfessionnalisation peut se prévaloir. Cependant, cet appel doit tenir compte, par-dessus tout, du ras-de-marée confessionnaliste qui, au cours des trois dernières décennies, a tendu à submerger autant les autres ‘asabîya et cadres de solidarités susceptibles de s’inscrire dans la logique confessionnaliste que ceux s’opposant à ladite logique. La confusion qui caractérise ce ras-de-marée porte toutefois à ne pas désespérer de voir l’appel contraire regagner un jour le terrain perdu et porter encore plus loin. Sur cette confusion peut encore se fonder, entre autres, l’espoir qu’une régression de ce déluge est encore possible et qu’un dénouement heureux du combat pour la déconfessionnalisation n’est peut-être pas aussi improbable que les apparences le laissent croire. Il s’agit là, bien entendu, non pas d’une prophétie mais d’une présomption qui, sans interdire le pessimisme, attribue à l’espérance une part de légitimité.

De ce mélange d’espoir et de pessimisme, l’analyse qui suit puise toute son énergie. Elle est pénétrée de l’irrésistible sentiment qu’un discours sans concession sur le confessionnalisme est désormais une nécessité. Sans concession ne veut pas dire exclusivement négatif. Un laisser-aller dans le sens de la simple dénonciation n’est pas de mise ici. Les “méfaits” du confessionnalisme doivent bien être rappelés, tellement l’intensité des mobilisations communautaires tend à les faire oublier. Ce besoin ne nous empêchera pas, cependant, de nous mettre pleinement à l’écoute de l’argument fort des “confessionnalistes”: à savoir leur peur du pire. Tenir un discours sans concession signifie aussi s’abstenir d’en faire à soi-même.

Équivoques
Mais de quel confessionnalisme s’agit-il ici?

Préféré par les Libanais à “communautarisme” pour rendre le mot arabe “tâ’ifîya”, le terme de “confessionnalisme” s’est paré, à travers les usages divers auxquels il s’est prêté, chez nous, d’une auréole de polysémie: auréole qui entretient un certain vague, autour de lui, rendant possibles toutes les équivoques. Ce terme est susceptible de désigner, tour à tour, le système politico-administratif de l’État, la réalité sociale du multicommunautarisme, l’organisation institutionnelle – au sens large – d’une communauté, une attitude collective ou individuelle d’attachement à l’implication des institutions communautaires dans le mode d’organisation et de gestion globales de la société, l’identification plus ou moins exclusive ou, du moins, privilégiée à une communauté religieuse, l’appartenance d’une institution ou encore d’un mode de penser, d’agir ou de vivre à une communauté, etc. Nous utiliserons, nous-mêmes, ce terme, dans les remarques qui suivent, dans le sens à la fois subjectif et objectif de l’identification collective et de son expression institutionnelle au niveau de la société globale.

Nous définirons donc le confessionnalisme instauré à partir de l’institution de l’État libanais contemporain, comme étant un contrat inégalement consenti et diversement interprété, entre les communautés confessionnelles constitutives de la société libanaise: contrat qui stipule la préservation d’un espace public minimal dont chaque communauté attend qu’il assure, à l’ensemble, les fonctions internes et les privilèges internationaux de l’Entité étatique; l’espace en question comble, sur ces deux plans, les carences de chaque communauté, mais laisse le champ libre à l’évolution respective des communautés vers une plus grande autarcie sociale et politique, celle-ci pouvant comprendre l’insertion directe de la communauté dans des réseaux internationaux, politiques et autres. Dans les moments de grande tension, on le sait, la demande d’autarcie a été poussée jusqu’à l’annexion de bras militaires à certaines communautés et la revendication par elles d’un statut quasi-étatique, les diplomates accrédités à Beyrouth s’habituant à négocier avec les appareils communautaires plus volontiers qu’avec le Pouvoir central. Par ailleurs, le même espace public est toujours demeuré plus ou moins poreux: chaque communauté s’efforce de s’y assurer des zones d’influence (souvent appelées “fiefs”, autrement dit des services publics qu’elle détourne, autant que faire se peut, à son profit); elle s’active, dans la même foulée, pour se tailler une part toujours plus importante de la manne étatique qu’en bons francophones, les Libanais dénomment tantôt “le gâteau” et tantôt “le fromage”.

Il va de soi que parler, à ce propos, de “communautés” relève de la simplification. Le plus souvent, un “fief”, plutôt que d’être celui d’une communauté, est celui d’un leader en poste au nom de celle-ci. Ce dernier a normalement tendance à fermer les portes de son “fief” au nez de ses concurrents de la même communauté, plus volontiers qu’à celui de représentants d’autres communautés. Il n’empêche que c’est bien le système communautaire qui rend possible et entretient ce phénomène d’accaparement.

Bien plus, les luttes d’influence qui travaillent chacune des grandes communautés constituent, comme nous l’avons montré ailleurs, une nécessité vitale pour l’État confessionnaliste. En effet, l’accession (hautement improbable, en temps de paix) d’une communauté importante à l’état de monolithe politique, priverait d’alternative le Pouvoir central, en cas de boycottage, par cette communauté, des institutions de l’Etat. Sachant le système globalement menacé, le Pouvoir serait obligé d’obtempérer aux demandes, même excessives, du bloc dissident: conduite fatale, s’il en est, puisqu’elle ne manquerait pas d’entraîner des réactions de refus ou de révendication excessive de la part d’autres communautés; par mimétisme, celles-ci seraient portées à réaliser leur unanimité respective. Constamment déplorée par leurs porte-drapeau, la désunion régnante au sein des communautés est, en fait, une condition de survie du pays.

Nous ajouterons, pour clore ce préambule, que notre confessionnalisme contemporain est une réalité foncièrement différente de ce qu’étaient les voisinages intercommunautaires dans l’ancienne entité pré ou proto-étatique du Liban. C’est un péché contre l’intelligence (que beaucoup commettent volontiers, hélas!), mais, aussi, une grave erreur de perception politique, que d’assimiler la dernière guerre du Liban à la série de conflits qui ont jalonné l’histoire des relations intercommunautaires entre le début du 17e siècle et le milieu du 19e. Avec le territoire, et bien plus que lui, sans doute, mais, surtout, avec la Ville, le Pouvoir d’État s’est imposé, après 1920, comme enjeu capital des compromis et, bien évidemment, des conflits entre les communautés constitutives du pays.

Combler les retards de confessionnalisation: le cas des chiites

Ces préliminaires consignés, signalons un fait historique de grande portée, puisqu’il continue à déterminer le présent: Au moment de la naissance de l’État libanais, toutes nos communautés n’étaient pas confessionnelles, voire confessionnalistes, à égalité. Pour ne donner qu’un exemple ( mais il est de taille), les chiites du Liban se répartissaient en deux collectivités régionales très peu perméables l’une à l’autre: celle du Jabal Amel et celle de la Békaa du nord. Au sein de chacune d’elles, primait un système de solidarité et de concurrence familiales ou tribales divisant chaque village, ou presque, en deux alliances concurrentes de familles. Au niveau de chaque région, le tout était coiffé par des leaderships issus de familles que l’on qualifiait de “politiques”. De ces dernières, les plus influentes géraient les affaires de leur région depuis des siècles. D’autres qui leur faisaient concurrence avaient dû leur promotion à l’exercice de fonctions publiques au cours du dernier demi-siècle ottoman ou, encore, à l’enrichissement dans le commerce et, enfin, pour certains individus, à l’éducation moderne. Deux ou plus de ces facteurs pouvaient, bien entendu, se conjuguer. Les grands zaims étaient relayés dans les villages et les sous-régions par plus petits qu’eux. Par ailleurs, le corps des ulémas était pratiquement dépourvu de hiérarchie institutionnelle. Les grands mujtahids avaient bien un ascendant moral sur les ulémas moins prestigieux et aussi sur les zaims avec lesquels ils entretenaient des rapports souvent équivoques. Certains mujtahids jouaient un rôle politique direct et tenaient à se faire représenter plus ou moins directement dans l’arène électorale. Des tribunaux Jaafarites (inexistants sous les Ottomans) ayant été créés par l’Autorité mandataire, les cadis acquirent rapidement une certaine importance, le renforcement de leur rôle et de leur prestige devenant une revendication symbolique d’aspirations communautaires. Comparés à ceux d’autres communautés, les biens waqfs demeuraient bien modestes. Et c’est au prix de grands efforts et d’une mobilisation de longue haleine des émigrés chiites d’Afrique, qu’un député et un mujtahid réussirent successivement à créer, à Beyrouth et à Tyr, deux écoles communautaires de niveau secondaire.

Par intermittence, au Parlement et dans la presse locale (longtemps réduite à une seule revue paraissant à Saida), résonnait l’écho de doléances communautaires. Mais ces sursauts restaient sans consistance et sans lendemain. Le communautarisme de l’aile marchante constituée d’intellectuels modernisants – dont les plus importants étaient, d’ailleurs, des ulémas – était doublé d’un nationalisme arabe qui, à partir de 1948, finit par l’étouffer. En somme, le système binaire de solidarité familiale, système souvent dit arabe (et dont nous avons esquissé bien sommairement les traits) arrivait à contenir efficacement les vélléités communautaristes. Cette situation ne devait connaitre de changement notable qu’au lendemain de 1967, à la faveur d’une lente maturation et, à la fois, d’une situation régionale qui mettait directement en cause l’avenir des chiites libanais et celui du pays.

Il serait bien trop long de retracer ici le processus de communautarisation des chiites, depuis la naissance du mouvement initié par Moussa Sadr jusqu’à aujourd’hui, en passant par les mutations des années de guerre. Qu’il nous suffise de donner un nom à cette grande transformation: l’institutionnalisation.

Aujourd’hui, les chiites du Liban sont, en effet, dotés d’un organisme communautaire central, dont l’autorité coiffe un appareil à la fois laic et religieux considérable. Toutefois, une grande partie des ulémas se soustraient, pratiquement, à l’autorité de cet organisme; ils sont intégrés, pour la plupart, dans d’autres “mouvances”, celles-ci devant leur cohérence à une appartenance politique commune ou au prestige d’un grand uléma. Il en résulte un degré de structuration jamais atteint avant la guerre et qui n’est pas sans rappeller celui des ordres religieux chrétiens. Il en résulte aussi une concentration désormais remarquable de moyens financiers et institutionnels. En effet, le corps des ulémas assure, aujourd’hui, la gestion de biens waqfs considérables supportant un système complexe d’oeuvres sociales . De nombreux et importants établissements (scolaires, hospitaliers, etc.) dépendent d’associations communautaires. Par voie de conséquence, les réseaux d’établissements les plus imposants sont placés sous la coupe d’organisations politiques issues des années de guerre et de résistance, ou de grands ulémas. Ces organisations (soit le Mouvement Amal et le Hizbollah) ont réussi à mettre fin à l’éparpillement de la jeunesse chiite politisée entre les divers partis et mouvements dits laics de l’avant guerre: nationalistes, de gauche ou, même, palestiniens. Elles ont mis à l’écart les anciennes familles politiques ou les ont prises sous leur férule. Elles contrôlent, de concert, la presque totalité de la représentation parlementaire de la communauté, alors que le mouvement Amal monopolise pratiquement la gestion de la “part” chiite dans l’Appareil administratif de l’État et les services divers assurés par ce dernier. Privilégiant sa mission de résistance à l’occupation israélienne (résistance dont des impératifs régionaux lui ont garanti la presque exclusivité), le Hizbollah entretient un appareil militaire redoubtable, l’immixion du Mouvement Amal dans ce domaine demeurant sporadique et bien modeste.

Afin de mettre en place ce réseau impressionnant d’institutions de toutes sortes, les chiites ont mis à contribution leur propre évolution interne: soit, surtout, leur croissance démographique, l’accroissement relatif de leur poids dans l’économie nationale et les ressources en formations procurées par une scolarisation massive. Ils ont profité également d’alliances régionales solides et de prolongements internationaux. La guerre s’avérant propice à ce genre de renversement, cette communauté a réussi à obtenir, depuis les années 80, une révision cruciale, en sa faveur, des termes du partenariat intercommunautaire qui fait marcher le pays.

Indépendamment de différences certaines de circonstances ou de style, les chiites n’ont fait que s’inspirer, quant au fond, de la tradition la plus pure du confessionnalisme libanais. Ils ont suivi la voie, déjà frayée par d’autres, de mariage d’une évolution interne avantageuse et d’une conjoncture de guerre civile ou internationale, larvée ou déclarée, et donc d’ingérence extérieure, pour se tailler la place qu’ils s’estimaient mériter. Ce ne sont guère, hélas! les vertus de dialogue, de négociation et de compromis souvent attribuées impudemment au système confessionnaliste qui leur ont donné gain de cause, mais bien les réserves de violence générées par l’absence foncière de capacité d’adaptation à l’Histoire dont fait étalage, pour ceux qui ont des yeux pour voir, ce terrible système. Il a fallu aux maronites la Première Guerre Mondiale et Gouraud, Maysaloun et l’occupation de Damas, pour avoir leur Grand Liban. Les sunnites ont du leur place de second partenaire à rien moins que la Deuxième Guerre Mondiale et à Spears et plus tard à 56 et à Eisenhower, à 58 et à Nasser, sans compter les accointances saoudiennes. Les chiites, eux, ont du attendre la guerre de 67. Ils ont eu besoin de la Syrie et de l’Iran, et, dans le sein fertile de la guerre du Liban, d’une guerre contre les Palestiniens et d’une autre contre Israel. Et s’il convient de faire une observation supplémentaire sur la tendance des communautés libanaises à l’institutionnalisation, disons que si – comme on le répète souvent – les maronites ont essuyé des pertes d’influence à l’issue de la dernière guerre, leur modèle historique de communauté organisée s’était mué, lui, – bien avant la guerre – en type idéal d’organisation chéri par tous les partenaires.

Le leg de la guerre

Parmi les manifestations importantes de la confessionnalisation généralisée, depuis la guerre, citons les faits suivants:

1- Le renforcement de l’influence des autorités religieuses ou simplement des hommes de religion qui désormais occupent des places-clés sur la scène politique. De par les moyens matériels dont elles disposent, ces autorités font main basse également sur divers aspects de la vie sociale, entraînant ainsi la marginalisation du rôle de l’État et de celui des forces laiques. Cojuguée à leur généralisation à toutes les communautés, l’orientation spontanément confessionnelle des oeuvres sociales que ces autorités contrôlent (et surtout des établissements d’enseignement) tend à approfondir les clivages communautaires, dans le pays.

2- L’accroissement de la gravité de ce même effet, notamment par le fait qu’il n’est plus compensé par d’autres facteurs qui traditionnellement promouvaient la mixité intercommunautaire. Le rétrécissement des zones de résidence mixtes, la répartition en ghettos de beaucoup d’établissements et de services pubics, la décentralisation des marchés et la multiplication des agences de toutes sortes, etc. rendent tous de plus en plus rares les possibilités de contact entre des Libanais de diverses appartenances communautaires. Certains de ces phénomènes sont le fruit d’une évolution normale, d’autres, au contraire, font partie du leg de la guerre.

3- La confirmation du caractère rural du régime politique libanais, considéré dans sa totalité. Ce caractère est maintenu essentiellement par la loi électorale. À sa base, nous trouvons le fait que certaines grandes communautés se reconnaissent dans une origine géographique: soit une zone de la Montagne ou de la périphérie à laquelle elles s’identifient historiquement; d’où le désir d’associer à cette origine l’essentiel de leur représentation politique. D’autres communautés sont originellement concentrées dans les villes. Profitant volontiers de la motivation passéiste des autres, que d’ailleurs elles partagent, elles se trouvent réduire les villes dont elles accaparent pratiquement la représentation, au statut politique de gros villages. Les vagues de l’exode rural refluant à chaque échéance électorale vers leurs lieux de naissance, les villes sont livrées en proie à la logique des origines, logique qui privilégie nécessairement les critères de l’appartenance familiale et confessionnelle. Or, ce sont les apports humains qui, venus de loin pour faire de la ville leur espace de confluence, font qu’une ville devient une ville. Ils y constituent le sel de la citadinité et, en se livrant à elle, lui confient, en fait, les rênes de la modernisation. Laisser des villages quasi-vides captiver la plus grosse part de la représentation politique revient à réduire celle-ci au traitement de problèmes sans envergure que soumettent aux parlementaires des individus souvent établis en ville mais dont le vote peut leur servir de carte d’accès au député de leur région d’origine. À leur tour, les grands problèmes des villes se trouveront déborder, de toute part, la représentativité politique de leurs élus. Le traitement de ces problèmes deviendra l’apanage du noyau central du Pouvoir. Logique d’origine donc et non pas de vie. Ainsi que nous l’avons relevé ailleurs, le vote et la représentation du citoyen se trouvent être largement cantonnés non pas là où vit le citoyen mais là où il sera enterré.

4- L’évolution du système vers un contrôle communautaire plus serré des individus. On assiste, en effet, à une collectivisation sans précédent des pratiques cultuelles. Dans certaines communautés, les occasions pouvant faire l’objet d’une commémoration collective ont fait l’objet d’un nouveau recensement. Des anniversaires qui jadis passaient inapercus ont été renfloués afin d’allonger la liste des jours de l’année où l’appartenance confessionnelle commune est rappelée aux publics visés. On cherche à multiplier les occasions où, au cours d’une célébration, l’assistance est appelée à répéter de concert des formules ou des gestes emblématiques. Les progrès vite banalisés des techniques audio ont permis de rendre véritablement aggressive pour les gens d’autres obédiences (mais aussi pour les adeptes du même rite, convaincus qu’il n’est pas indispensable d’en faire autant) la diffusion, à l’extérieur du lieu de culte, des cérémonies, des appels à la prière ou des récitations. Aussi n’est-il pas surprenant que les non-conformistes se sentent devenir des rénégats. Ils voient l’expression de leur pensée autant que l’exercice de leur style de vie condamnés au secret ou repoussés vers des espaces de plus en plus étriqués. Bien entendu, la pression est plus sensible – les intellectuels de certains quartiers de Beyrouth tendent à l’oublier – dans les villages, dans les banlieues et dans les quartiers mono-communautaires des villes. Toujours problématiques, les espaces passablement publics ont vu leurs limites se rétrécir à partir des années de guerre. Les individus en rupture de communauté s’y réfugient, mais aussi les organes de presse tant soit peu pluralistes, les maisons d’éditions libérales, les tribunes soucieuses de préserver une certaine indépendance, etc. On a souvent souligné le fait que le confessionnalisme réduisait l’ambition des individus aux limites de la part de leur communauté. Les membres de 14 communautés sur 18 ne peuvent normalement espérer dépasser le rang de ministre. Nous avons évoqué les guerres mondiales: il faudrait, sans doute, un guerre interplanétaire ponctuée d’ingérences surnaturelles pour porter un grec-catholique à l’une de nos trois fameuses présidences. À un autre niveau, 17 communautés sur 18 doivent désespérer d’enfanter, un jour, un commandant en chef de l’Armée, un gouverneur de la Banque centrale, un recteur de l’Université Libanaise, etc. S’il est vrai que ces exclusivismes entretiennent bien des frustrations collectives, on peut parier, toutefois, que, ressentis individuellement, ils ne tuent personne. En fait, en limitant la concurrence, ils nuisent beaucoup plus au bon sens et aux fonctions elles-mêmes qu’aux individus qu’ils paraissent brimer. C’est plutôt ailleurs, c’est-à-dire dans l’état de siège où on les cantonne et dans les mobilisations auxquelles on les assujettit, qu’il faut chercher les empêchements de naître dont les individus-citoyens sont l’objet. Il ne faut pas trop s’étonner non plus de voir ces empêchements de naître se transformer si souvent en servitude volontaire. Ce que nous vivons ne manque pas d’adeptes, en effet. Le confessionnalisme jouit, surtout depuis les années de guerre, d’une grande popularité. Et ce sont ses détracteurs qui, cruellement, en manquent. À tel point qu’il est légitime de se demander si ce qu’au risque d’offusquer certains, nous osons appeler démocratie fait l’objet, dans ce pays, d’une demande significative, sinon dormante.

Le dépassement du confessionnalisme est-il indispensable?

Au niveau national, le confessionnalisme ne devrait pas nécessairement être rejeté s’il n’était qu’”odieux” comme le qualifiaient naguère, de bonne ou de mauvaise fois, beaucoup de publicistes et de politiques libanais. On aurait pu lui passer son appétit structurel de corruption, aiguisé par le clientélisme généralisé que promeut inévitablement la pratique des fiefs et des quote-parts et la présence derrière le civil servant d’un bienfaiteur susceptible de se muer, si besoin est, en protecteur.

On aurait pu, peut-être, pardonner également au confessionnalisme d’avoir fait en sorte que la séparation des pouvoirs (jadis rendue presque superflue par le déséquilibre, à la fois constitutionnel et communautaire, des mêmes pouvoirs) relève, depuis la fin de l’hégémonie monocommunautaire, de la quadrature du cercle. Comment pourrait-il en être autrement, en effet, si obéissant au double critère, institutionnel et communautaire, de leur distribution, chacun des chevaux de la troika doit obéir simultanément à deux maîtres aux volontés si souvent opposées. Et comment convaincre, surtout, le président du Législatif de se défaire de l’attelage gouvernemental quand il s’estime mandaté par le pacte national, à défaut de l’être par la Constitution, pour veiller, au sommet de l’État, sur les intérêts de sa communauté?

Dans la conjoncture présente, il serait plus difficile – convenons-en – d’absoudre les luttes de fiefs, inextricablement personnelles et communautaires, du péché de gonflage des dépenses publiques, chacun faisant des coudes pour augmenter la part des siens et, partant, notre fabuleuse dette publique. Encore serait-il plus laborieux de ne pas faire porter au confessionnalisme la responsabilité du régime de tutelle ou de co-tutelle auquel il soumet, depuis toujours (mais beaucoup plus franchement, depuis la fin de la guerre) non pas les doctorants du pays, mais le pays lui-même. On blâmera difficilement le tuteur de se livrer, dans la mesure de ses moyens, à un jeu de dosages savants des déséquilibres communautaires et de pilotage de leur train de conflits quasiment quotidiens qu’il manipule en maître. Ce faisant, il ne fait que tourner à son avantage le jeu d’un pouvoir qu’il a contribué décisivement à mettre en place mais dont les assises intérieures (les éléctions successives l’ont prouvé) sont désormais très réelles. Il exploite les limites et les atouts de ses partenaires libanais en se portant garant de leur puissance et, à la fois, de leur impuissance. Connaissant l’importance relative de leurs acquis respectifs, il mise sur leur incapacité à gérer, seuls, leurs rapports de force.

Le confessionnalisme ne serait pas nécessairement à bannir, enfin, s’il était seulement un obstacle à la modernisation du pays. Il devrait être permis de faire des choix non-modernistes ou dépourvus d’élégance, s’il était prouvé que la survie d’une société est à ce prix. Les raisons pour tenter de dépasser le confessionnalisme sont ailleurs.

Elles résident dans le fait qu’il s’est avéré bien incapable d’assurer, à long et à moyen terme, une gestion tant soit peu raisonnable du pays et une paix nationale viable. Nous avons déjà signalé la réputation de souplesse dont, grâce aux bénéficiaires, ce système continue indûment à jouir. On vante son aptitude aux compromis. Mais les compromis dont il s’est montré capable, une fois institué, se limitent toujours aux questions de détail que d’ailleurs on traite si laborieusement que les solutions interviennent souvent trop tard ou bien sont trop chèrement payées. Les grands problèmes, eux, doivent attendre les grands chambardements.

Vers le naufrage ?

Existe-t-il, pour le Liban, des chances réelles de se défaire du fardeau confessionnaliste qui, périodiquement, menace de lui briser l’échine? La réponse est non, si tant de Libanais continuent à se représenter leur régime, qu’ils confondent, à tout venant, avec le fait multicommunautaire, comme étant la raison d’être de leur pays. La réponse est non s’ils continuent à prendre pour un trait de génie national ce qui n’est que vélléités de suicide d’un peuple. La réponse est non si, pour innocenter le système, tant de Libanais s’entêtent à imputer tous leurs maux aux personnes au pouvoir, au lieu de reconnaître que le système est, bel et bien, le mode de sélection des personnes et leur mode d’emploi. La réponse est non si ces Libanais continuent à croire qu’à force de mesures cosmétiques, il serait possible, dans le cadre de ce système, de combattre efficacement le clientélisme, d’atténuer durablement la corruption, d’arrêter l’allègre course vers l’abîme en réduisant substantiellement le gaspillage des ressources publiques et, last but not least, de restaurer une indépendance politique qui serait autre chose qu’un faux-semblant. La réponse est non si tant de Libanais continuent à prendre pour une démocratie citoyenne ce qui ressemble bien plus à une camisole de force, tissée selon la logique primaire des origines. La réponse est non, enfin, si tant de Libanais persistent à penser qu’une paix civile pérenne serait à leur portée à la seule condition que les “autres” acceptent de les laisser traiter souverainement leurs affaires: condition qui, dépendant, à ce point, de la bonne volonté des “autres”, risque de manquer souvent à l’appel. Les “autres” se feront, en effet, un plaisir, à chaque fois qu’ils le pourront, d’en bloquer la réalisation. Et ce ne sont pas des communautés confessionnelles écartelées entre les impératifs de leur devenir respectif et l’immutabilité du système socio-politique en place, qui les en empêcheront.

Bref, la réponse est non – incline-t-on à penser – puisque l’espoir de voir les Libanais s’alléger, avant qu’il ne soit trop tard, de tant de fausses perceptions qui, depuis si longtemps, meublent leur univers mental, relève décidément de l’optimisme démesuré. D’autant plus que ces perceptions sont soutenues par des peurs ancestrales que la dernière guerre a ravivées, et par un tissu enchevêtré d’intérêts particuliers qui, à force d’être symétriques, se soutiennent les uns les autres. Mais le temps qui presse laisse-t-il aux Libanais un autre choix, sinon un naufrage national? Car quelles garanties, subjectives et objectives, possèderaient, encore, ceux d’entre nous qui, en désespoir de cause, iraient même jusqu’à préférer le pire, de voir, un jour, ce pays atteindre un nouveau rivage? Si doué pour la vie, sur d’autres plans, et si prompt à s’adapter aux situations les plus inédites, notre peuple se résoudra-t-il à payer le prix mental d’une traversée réussie de la crise de système dont nous payons de plus en plus cher les soubresauts?

Linéaments d’une réforme annoncée

Théoriquement, le dépassement du confessionnalisme avait constitué une idée force du consensus qui s’est dégagé pour mettre fin à notre dernière guerre. Si relatif qu’il soit, cet acquis ne doit pas être sacrifié. Il est encore possible de partir, en gardant la distance critique dont notre expérience de la décennie écoulée a confirmé la nécessité, de l’Accord du Taef. Ce dernier – on l’a souvent répété – a fait l’objet d’une application indissociablement sélective et biaisée. Sans aucunement exclure une révision du texte que l’expérience d’une douzaine d’années d’application rend, au contraire, inévitable, il faudra rendre au document sa cohérence, la complémentarité et l’équilibre de ses dispositions principales. Notamment, la déconfessionnalisation du régime ne devrait plus servir de menace que l’on peut agiter, chaque fois que le départ des troupes syriennes est exigé; c’est, au contraire, ce départ qui devrait être envisagé comme une condition de la bonne conduite de la déconfessionnalisation. D’autres conditions seront requises pour faire de cette dernière une opération de sauvetage du pays et non pas le début de la fin de l’Idée libanaise. À défaut de certaines garanties et mesures de précaution, la déconfessionnalisation peut, en effet, tourner très aisément à la catastrophe nationale. La représentation de toutes les communautés dans le cheminement vers un horizon laic doit être très large et indiscutablement légitime. Un parrainage impliquant, sans doute, l’ONU et la Ligue des États Arabes, devra être envisagé. La Syrie y trouvera naturellement sa place: de premier plan, mais non pas dominante, voire exclusive. Ce parrainage contribuera à donner aux mesures adoptées un statut international. Il est possible d’esquisser comme suit les dispositions à élaborer par l’Organisme national chargé par l’Accord de Taef de dresser le programme de la déconfessionnalisation:

a- L’élaboration d’une nouvelle loi sur la nationalité. Les émigrés libanais réunissant certaines conditions (être nés au Liban ou y avoir séjourné pendant un nombre raisonnable d’années, y disposer d’un domicile, etc.) et désireux de récupérer leur nationalité libanaise pourront déposer leurs dossiers. Un réexamen des dossiers jugés par les décrets des années 1990 sera effectué afin de vérifier la conformité à la législation en vigueur à l’époque, du sort qui leur a été réservé. Mettant fin au scandale (aujourd’hui unique au monde) qui dure depuis bientôt trois quarts de siècle, on procèdera à un recensement général, en règle, de la population.

b- La remise sur rails, après l’avoir révisé et complété, du projet de loi civile facultative sur le statut personnel. Tout citoyen devra jouir – sans préjudice pour ses croyances personnelles en matière de religion – de la liberté d’appartenir légalement à la communauté de droit public que cette loi instituera et dont le mode d’organisation sera convenablement défini.

c- Une nouvelle division administrative du pays, portant approximativement au double le nombre des département actuels. On veillera à préserver, dans la mesure du possible, la mixité communautaire et, en même temps, à donner aux grandes communautés des assises régionales, rendant impraticable la mutation de la déconfessionnalisation en discrimination camouflée de certaines communautés par d’autres. Théoriquement contradictoires, ces deux exigences ne semblent pas très difficiles à raccorder sur le terrain: la proportion de telle communauté ne sera plus dans tel nouveau département ce qu’elle était dans l’ancien; mais le fait de la mixité pourra, en règle générale, être préservé.

d- Une nouvelle loi électorale, d’où la distribution confessionnelle des sièges sera absente. Les circonscriptions électorales coincideront avec les nouveaux départements. La règle proportionnelle (dont il faudra définir les modalités de fonctionnement et leurs implications pour l’organisation politique de la société) sera appliquée après qualification au niveau du caza. L’inscription sur la liste d’électeurs se fera, optionnellement, sur la base du lieu de domicile effectif. Cette liste devenant distincte du régistre d’état civil, le transfert de ce dernier ne sera plus requis. L’égalité des chances d’accès aux medias sera garantie pour tous les candidats. Un plafond sera fixé pour les dépenses électorales et un mécanisme de contrôle sera instauré. Des ONG spécialisées seront autorisées à surveiller, sous tous leurs aspects, l’ensemble des opérations électorales; leurs rapports devront être rendus publics. Le recours actuellement en vigueur au conseil constitutionnel sera préservé. Les émigrés libanais ayant conservé leur nationalité seront appelés à exprimer leur vote au consulat libanais le plus proche de leur lieu de domicile. Une révision du nombre de sièges attribués à chaque circonscription sera effectuée, avant chaque échéance électorale, en fonction de l’évolution du nombre d’électeurs inscrits. Enfin une loi déterminera la composition et et le mode d’élection du Sénat dont les sièges seront, conformément à l’Accord de Taef, distribués au prorata des communautés.

e- La déconfessionnalisation des trois présidences et des postes ministériels, le pouvoir exécutif étant maintenu entre les mains du Conseil des Ministres. Cette mesure devra être assortie de la réduction du mandat du Président de la Chambre et de l’allègement des conditions autorisant le Conseil des Ministres à dissoudre la Chambre. On discutera de la possibilité de faire élire le Président de la République par les deux chambres réunies en Congrès ou celle de donner au Sénat la latitude de s’opposer à un choix de la Chambre jugé dangereusement sectaire. Conjuguées avec une réforme du pouvoir judiciaire, visant à assurer l’indépendance de celui-ci et, par conséquent, comportant nécessairement sa déconfessionnalisation, ces mesures constitueront les préliminaires indispensables d’un dépassement de la double définition (constitutionnelle et extra-constitutionnelle) des Pouvoirs. La séparation de ceux-ci ne sera plus alors un vain mot.

f- Des mesures pour rendre effective la déconfessionnalisation de la Fonction publique, la judicature comprise. Il est à prévoir que les chrétiens, continuant de jouir d’un avantage comparatif réel, quoique décroissant, quant à la qualité de leurs formations, le risque, pour eux, de se voir marginalisés, au niveau des postes pourvus par concours, sera bien minime. Toutefois la déconfessionnalisation devra être étendue aux postes de première catégorie. Le pourvoi de ces derniers (et d’autres postes de direction) se fera à la suite d’appels à candidature. Les dossiers déposés seront accessibles au public par l’intermédiaire des medias et d’ONG spécialisées. Ils devront être jugés, en première instance, par des jurys spéciaux de haut niveau et indépendants. Le Conseil des Ministres devra justifier publiquement de sa dérogation aux recommandations d’un jury.

g- Une préparation socio-politique axée sur le renforcement du lien national. Au niveau politique, on devra débloquer la réflexion sur la Guerre de 1975-1990 et ses prolongements, cette réflexion étant la voie obligée vers une véritable réconciliation nationale. Une nouvelle loi sur les partis politiques devra être promulguée, qui favorisera la formation de partis susceptibles d’échapper aux exclusivismes communautaires. Plus importante encore est la limitation du parasitage de l’État par les organisations politiques cultivant le confessionnalisme: parasitage qu’incarne le clientélisme et la politique de quotas communautaires appliquée aux services publiques. Le financement des organisations politiques devra faire l’objet d’un contôle strict, visant surtout à juguler, par le tarissement de ses moyens, l’immixion étrangère dans la structuration et la conduite politiques de la société. Dans les ONG menant une activité sociale ou culturelle, la mixité intercommunautaire fera l’objet de mesures gouvernementales d’encouragement et les sources de financement, d’un contrôle adéquat. Les mêmes principes de convivialité guideront le développement et la réforme de l’enseignement public (regroupement non-ségrégatif des écoles, distribution des enseignants sans égard pour les appartenances communautaires, déghettoisation de l’Université Libanaise, etc.) Il en ira de même de la politique de l’État dans divers autres domaines: habitat, information, culture, etc.

Une réforme sans réformistes ?

Il est à déplorer que ces mesures, devenues depuis longtemps impératives, ne comptent pas beaucoup d’adeptes parmi les Libanais. Ceux-ci – répétons-le – se trouvent être pris dans le filet inextricable d’un système fait de peurs symétriques, d’impuissances protégées et d’intérêts très réels mais trop étroits. Ils ont, jusque-là, lamentablement échoué à construire des cadres susceptibles d’assurer la prévalence des intérêts vitaux de leur société. Réussiront-ils à rattrapper les retards accumulés à la faveur de l’immense crise où le Liban se débat, depuis plusieurs années, et qui s’envenime rapidement au point de menacer les chances, pour ce pays, d’avoir un avenir? Il est à craindre que même la crise économique et financière ne soit interprétée, au moment de la débâcle, en termes de récriminations communautaires. Regroupée derrière le Président assorti, chacune des grandes communautés accuserait les deux autres d’avoir provoqué, par leur opportunisme égoiste, le naufrage de l’économie nationale. Et, fidèles à ce qui est devenu une habitude, les trois présidents (auxquels il faut bien ajouter deux ou trois autres personnalités) pourront jeter, chacun aux autres, la boule de feu, en s’accusant mutuellement, faits à l’appui, d’avoir conduit le pays à la catastrophe. Ni communautés ni présidents: nul n’aura entièrement tort dans ce duel de fin d’un monde. La seule correction à suggérer sera, peut-être, que le mal remonte plus loin, dans le temps, et s’enfonce plus profond, dans les méandres du système, que personne ne veut bien reconnaître. Or ce refus d’une commune identification du mal est précisément ce qui, jusque-là, rendait ce mal incurable. Le véritable mal, ce n’est autre que ce refus.

En fait, les plus grands casse-tête auxquels le système libanais en vigueur échoue à faire face, sur un mode pacifique, ne sont autres que les changements les plus normaux, les plus communs auxquels n’échappe nulle société contemporaine. Quoi de plus inévitable, en effet, que les variations des équilibres démographiques (ici: dans une société pluricommunautaire), l’extension de l’enseignement de masse et les ambitions qui en découlent, les progrès de collectivités dans la voie de l’institutionnalisation, les changements des rapports de force collectifs dans l’économie nationale, etc.? Toutes transformations dont le régime confessionnaliste n’a jamais réussi à tenir compte, qu’il a, bien au contraire, toujours échoué à reconnaître. Il aura fallu 15 ans de guerre pour que, de ces phénomènes, le régime amorce, la mort dans l’âme et dans les rues, une lecture boîteuse.

Contre le fifty fifty

Or ces changements continuent à se produire. Pour ne citer que l’exemple le plus notoire (et le moins souvent évoqué), le Liban actuel compte, selon les estimations les plus courantes, environ deux musulmans pour un chrétien. Ne voulant, pour rien au monde, faire face à cette réalité, les chrétiens – mais, aussi, les musulmans bénéficiaires du statu quo – préfèrent dormir sur la règle du fifty fifty. Tout au plus, on se gave de mots ineptes pour dissimuler cette iniquité: dénigrement de la loi du nombre, exaltation du régime supposé être une démocratie consociative, rappel de la nécessité de laisser aux chrétiens d’Orient ce petit pied-à-terre où, à la différence de tous les pays arabes, ils jouissent d’une possibilité réelle de manifester leur présence civilisationnelle, etc. Words! Words! Words! La loi du nombre ne peut-être si cavalièrement éludée dans une démocratie, consociative ou autre. On peut imaginer une règle de pondération pour garantir à des minorités le droit d’avoir voix au chapitre ou leur éviter d’être sous-représentées. C’est tout autre chose que la règle de 2 contre 1! Déjà des musulmanes et des musulmans osent se rebeller, au nom de l’égalité, contre la loi coranique qui, en matière de succession, octroie “au mâle la part de deux femelles”. On comprend que la maxime “à un chrétien, la part de deux musulmans” devienne, à la longue, insoutenable. La même maxime n’est d’ailleurs pas appliquée à la répartition des parts entre maronites et grecs orthodoxes, par exemple, ou entre druzes et chiites. Or si, de l’extérieur, le Liban offre, au regard pressé, l’évidence d’un société islamo-chrétienne, il apparait, de l’intérieur, (du moins en temps de paix!) comme fait de 18 communautés confessionnelles bien plutôt que de deux communautés religieuses. On ne peut, d’autre part, s’empêcher de noter qu’avant de pouvoir crédiblement baptiser “démocratie consociative” leur contrat politique, il reste aux communautés libanaises beaucoup de preuves à produire de leur éloignement du mode d’organisation et de mobilisation tribal, de leur respect des droits et des libertés des citoyens (dont elles confisquent, d’office, au nom de l’appartenance confessionnelle, l’être socio-politique). Enfin, l’argument tiré de la situation régionale des chrétiens, s’il répond à une réalité indéniable, ne peut emporter la conviction des musulmans libanais. Pourquoi accepteraient-ils en effet de faire les frais d’un rééquilibrage régional, quand ceux qui le réclament sont précisément les premiers à refuser de subir les retombées des fléaux qui handicapent notre région?

Pas même une guerre !

Qu’attendons-nous, alors, pour regarder, droit dans les yeux, les tares qui minent notre avenir? En acceptant de le faire, nous courrons, certes, de gros risques. Mais nous sommes déjà au pied du mur! Qu’attendons-nous, donc? Une nouvelle guerre? Pas même! Car, confessionnalistes ou pas, nous ne voulons plus de guerre: ni “pour les autres” ni pour nous autres.


Février 2002

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