Thursday, September 18, 2008














Jihad El-Zein, le "laïc positif"

Jihad El-Zein, éditorialiste et responsable de la page "Débats" dans le quotidien An-Nahar, s'emploie dans nombre de ses articles à promouvoir l'idée selon laquelle la laïcité anglo-saxonne est préférable à la laïcité "à la française", réputée pour sa "rigidité" et son "absolutisme". La première, pense-t-il, prépare mieux l'intégration des communautés non-chrétiennes dans les sociétés occidentales et renforce par conséquent la cohésion sociale de celles-ci.

Son article: La laïcité "sarkozienne" face à la laïcité française "réactionnaire", publié dans An-Nahar du 17/9/2008, exprime cette préférence sans ambages et s'alarme du tollé général soulevé par les déclarations du Président français lors de la visite du pape Benoît XVI en France. Cela montre, selon lui, le poids du tabou et l'impossibilité pour la France d'engager le débat nécessaire pour la "modernisation" d'un concept vieux d'un siècle.

En quoi la "laïcité positive" de Nicolas Sarkozy séduit-elle Jihad El-Zein ? À vrai dire, il ne le dit pas clairement, mais son argumentation laisse croire que, pour lui, la "laïcité positive", c'est la même chose que la laïcité, mais en mieux.

Reconnaissons, pour commencer, la grande habileté rhétorique de Nicolas Sarkozy (ou de ses scribes) qui, en accolant l'attribut "positive" à la "laïcité", a induit l'idée que cette dernière était forcément négative et minimaliste. On ne sait pas si Jihad El-Zein s'est donné la peine d'explorer plus avant le discours de Nicolas Sarkozy et s'il a réellement perçu l'argument clé qui le sous-tend. Dans son discours, le Président français développe l'idée que, sans croyances, il n'y a pas d'association politique et surtout que la religiosité est diffuse et présente dans le lien politique. En gros, cela signifie: "croyez en ce que vous voulez, mais croyez en quelque chose".

Or, l'idée principale de la laïcité "à la française" est de dire qu'il n'est pas nécessaire de croire en quoi que ce soit pour fonder le lien politique. La société politique laïque repose, justement, sur la forme de la non-croyance! On se constitue comme citoyen indépendamment de ce qu'on est préalablement, sur les plans religieux ou culturel. La société politique ne peut garantir la liberté d'expression que si elle est aveugle sur les croyances des citoyens et si elle s'abstient de se prononcer sur ce sujet.

Un passage important du discours de Nicolas Sarkozy ne semble pas avoir ébranlé l'enthousiasme de Jihad El-Zein. Le Président français dit, et je le cite: "La morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme lorsqu’elle n’est pas associée à une aspiration qui comble l’aspiration à l’infini".

Jihad el-Zein, qui vit au cœur même d'une société laminée en long, en large et en travers par le fanatisme religieux, ne trouve manifestement rien à redire lorsqu'il lit dans le passage cité que la morale laïque peut se changer en fanatisme. C'est réellement le monde à l'envers !

En fait, ce qui semble échapper à Jihad el-Zein, c'est que les propos de Nicolas Sarkozy, en faveur d'une "laïcité positive", assument avant tout "les racines chrétiennes" et surtout catholiques de la France. Loin de promouvoir ou de favoriser la "cohésion sociale", comme il semble le croire, la "laïcité positive" ouvre la voie au communautarisme, et c'est là que réside le danger.

Aujourd'hui, en France, les croyants ont le droit de fonder des associations au travers desquelles ils s'expriment dans le débat public. Accepter que des représentants religieux soient reconnus par la puissance publique comme des interlocuteurs politiques, ce serait légitimer des corps intermédiaires et leurs "chefs" censés se prononcer pour une "communauté".

Peut-être que Jihad el-Zein, en donnant libre cours à son enthousiasme, avait en tête la phrase célèbre attribuée à Malraux: "Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas". Peut-être qu'il a aussi subitement renoncé à combattre le système confessionnel libanais pour le promouvoir comme modèle pour les sociétés occidentales et notamment à la France qui n'arrive pas, selon lui, à se défaire de sa "laïcité réactionnaire". Nul ne le sait.

Depuis l'avènement d'Erdogan au pouvoir, Jihad El-Zein s'est entiché (comme beaucoup d'autres) de l'expérience de ces "démocrates musulmans" turcs qui avaient réussi pour la première fois à "fusionner" deux catégories restées depuis longtemps antinomiques: L'islam et la démocratie. La forte similitude avec l'expérience des "démocrates-chrétiens" italiens avait achevé de le subjuguer.

Inutile de s'attarder sur les conditions sociales et historiques qui ont permis l'émergence de ce modèle, tant il est facile de noter que sans la "laïcité" imposée par Atatürk, l'expérience que vit actuellement la Turquie n'aurait probablement jamais existé. Ce qui attirait Jihad (et le faisait probablement rêver), c'est l'émergence dans le monde musulman d'un "modèle" historiquement inédit qui pouvait à terme ouvrir la voie à une transposition possible dans les pays arabes !

Les égarements de Jihad El-Zein sont venus après et notamment lorsqu'il a commencé à jauger la laïcité en général à l'aune de l'expérience turque. Il s'était enflammé une première fois contre la laïcité française lorsque le débat a surgi en France concernant l'abolition du port du Hijab dans les écoles. C'est à cette occasion qu'il a fait pour la première fois le parallèle entre la "souplesse" du modèle anglo-saxon et la "rigidité" du modèle français. La "laïcité positive" prônée aujourd'hui par Nicolas Sarkozy est venue d'une certaine manière le conforter dans son rejet de la "laïcité" de 1905 et l'a encouragé à dénoncer aujourd'hui la "laïcité réactionnaire" française. C'est ainsi que ledit "prisme" a fini par brouiller sa vision et l'a incité à voir dans le modèle turc, un "modèle universel" applicable partout, y compris en France.

Lorsqu'il déclare son enthousiasme pour la "laïcité positive" de Sarkozy, il ne fait qu'avaliser la fumisterie de ce dernier qui cherche à "injecter" du religieux dans le politique et à favoriser l'émergence du "communautarisme" en France. Venant d'un Libanais (démocrate et libéral, de surcroît) dont le pays patauge depuis une éternité dans les marécages confessionnels, c'est vraiment un comble !

Applaudir l'initiative de Sarkozy, c'est devenir comme lui un "laïc positif", autrement dit un "communautariste", ce qui revient dans le cas de Jihad à souhaiter une "libanisation" de la France.