Monday, September 22, 2008













Le repentir et le Graal de la légitimité

Onze années de cachot n'ont pas suffi. Samir Geagea continue encore aujourd'hui à représenter aux yeux des Libanais, chrétiens y compris, la quintessence même du criminel de guerre dont aucune rédemption ne saura effacer les péchés. Dans l'imaginaire collectif, il est resté l'archétype du milicien, qui pendant les quinze années de guerre a, plus que quiconque, poussé la barbarie jusqu'à des limites jamais atteintes.

Depuis qu'il est sorti de prison, et contre toute attente, il s'est présenté aux Libanais en "homme contrit" qui a définitivement tourné le dos au passé et qui a décidé d'adopter exclusivement les "moyens pacifiques" pour continuer une lutte qui l'avait conduit, comme beaucoup d'autres d'ailleurs, pendant les années de guerre à commettre répétitivement des atrocités d'un autre âge.

Pas une seule de ses déclarations n'est venue depuis contredire cette profession de foi. Jamais, il ne s'est laissé aller à dire ou à faire ce qui pourrait laisser douter de sa repentance sincère. Connaissant leur "Hakim" sur le bout des doigts, nombre de Libanais parmi ses fidèles partisans avaient cru (ou espéré, pour des raisons de "légitime défense") que ses anciens démons le reprendraient, ne serait-ce que pour venger l'un ou l'autre des assassinats qui avaient exclusivement visé le camp auquel il appartenait. Mais Samir Geagea n'a pas flanché, et jamais l'idée de représailles contre l'assassin désigné ou à défaut contre ses amis libanais n'a effleuré son esprit.

Et pourtant, la figure tenace du "seigneur de guerre" persistait, comme si l'homme était définitivement damné et comme si aucun repentir ne suffira jamais à le laver de ses péchés. L'homme a été diabolisé pour toujours et, quoi qu'il fasse, il continuera à être voué aux gémonies par des Libanais qui lui refuseront ad vitam leur pardon. Samir Geagea en était conscient. Il savait que le chemin de la rédemption était long et la quête du Graal de la légitimité, impossible, mais il n'a pas fléchi et dans un acte d'expiation ultime, il a décidé de tout "donner".

"En toute sincérité et en toute transparence; devant Dieu et les gens, en mon nom et en celui de générations de résistants, vivants ou martyrs, je présente mes profondes, franches et totales excuses, pour toute blessure, toute malversation, toute perte, tout dégât injustifié dont nous avons été responsables lorsque nous remplissions notre mission nationale, pendant la guerre… Je demande à Dieu et à toutes les personnes que nous avons lésées de transcender leurs douleurs et de nous pardonner", proclama-t-il devant la foule de ses partisans rassemblés hier à Jounieh.

L'acte, à n'en pas douter est inédit. Que le calcul politique et la manœuvre électorale ne soient pas absents, cela ne fait aucun doute, mais Samir Geagea a outrepassé ce qui dans la "culture milicienne", quelle qu'elle soit, appartient au domaine du dogme. Dans cette culture, un Chef ne reconnaît jamais ses erreurs, il y va de sa dignité de Chef. Demander pardon, c'est tout simplement s'avilir aux yeux de ses adversaires et avant tout aux yeux de ses partisans.

Mais le "Hakim" n'avait cure de ses considérations. Hier, son esprit était ailleurs ! Ce qu'il visait avant tout, c'est arracher le leadership des maronites à son rival de toujours, un rival qui s'est éloigné à jamais des "constantes" qui avaient au fil du temps cimenté l'histoire commune des Chrétiens libanais.

Pour franchir le Rubicon, Samir Geagea a bien choisi son moment. Au summum de l'effervescence de la "révolution du Cèdre" et jusqu'à hier encore, c'est Walid Joumblatt qui menait la danse, il en fixait les pas et le tempo. Maintenant que le chef druze a décidé de renoncer à son rôle de "locomotive" du 14 mars et de veiller exclusivement à la survie de sa communauté, Samir Geagea s'est avancé d'un pas assuré pour ramasser l'étendard piétiné au cours de la débandade générale qui a suivi le 7 mai et de le porter haut pour livrer l'ultime combat d'une guerre déjà perdue.

Un baroud d'honneur tardif et probablement inutile !