Wednesday, July 29, 2009












Væ victoribus… Gloria Victis !

Ce qui n’était qu’exceptionnel et provisoire est en train de devenir pérenne. Qu'il soit explicite ou déguisé, le tiers de blocage arraché par le parti khomeyniste à Doha après son coup de force du 7 mai 2008 est devenu de facto la condition sine qua non pour la formation de tout nouveau gouvernement. Les élections législatives normalement destinées à dégager une majorité qui gouverne et une minorité qui s’oppose font désormais partie d’un folklore qui ne servirait tout au plus qu’à faire accroire au Libanais qu’ils continuent à vivre sous un régime démocratique et parlementaire. Exit Taëf, Doha devient la référence.

C’est la même peur qui avait conduit la coalition du 14 mars à capituler à Doha qui resurgit aujourd’hui et la conduit à renoncer à sa victoire du 8 juin. La magnanimité affichée par Saad Hariri au lendemain des élections est un aveu à peine voilé que l’équilibre des forces se fait dans la rue et non au Parlement. C’est pour éviter au pays une guerre civile certaine, nous répète-t-on à l’envi, que la majorité doit accéder sans rechigner aux demandes de la minorité. Dont acte.

Aussi, la seule question qui se pose depuis un mois au Premier ministre désigné est celle de savoir comment donner le « tiers de blocage » à la minorité et pouvoir prétendre par la suite qu’il ne l’a pas fait. Ce n’est donc qu’une question de forme et de face à sauver, ni plus ni moins. Triste retournement des choses, c’est au vaincu de devenir magnanime pour payer le vainqueur en retour. Qu’à cela ne tienne, répond promptement Hassan Nasrallah. Jamais sa demande concernant le tiers de blocage ne sera explicitement formulée. Tout ce que nous voulons, répète-t-il, c’est juste une « vraie participation » au gouvernement. Saad Hariri ne demandait pas plus. En acceptant que le 6ème ministre chiite soit « transféré » dans la quote-part du Président, il peut prétendre ne pas avoir cédé aux injonctions du Hezbollah et Hassan Nasrallah peut s’esclaffer dans sa barbe et dire à son tour qu’il a réussi à obtenir le onzième ministre pour sa coalition. C’est pas beau la vie !

Ainsi, le parti khomeyniste a une nouvelle fois réussi son coup et Hassan Nasrallah encaisse enfin les dividendes longtemps restés impayés de sa "victoire divine". Privé de guerre contre Israël, il avait fini par trouver le seul débouché possible pour ses armes, les "investir" en interne pour imposer ses quatre volontés aux Libanais et tenter de changer la répartition des pouvoirs entre communautés. Sans s’opposer directement à l'accord de Taëf, sa tactique visait tout simplement à le vider de son sens en pérennisant les "acquis" engrangés à Doha. Non seulement il peut prétendre y avoir pleinement réussi, mais il peut même s’enorgueillir de l’avoir fait après une défaite électorale.

Le « tiers de blocage » n’est en fait qu’un pis-aller à une prise du pouvoir par la force. Vous me donnez le tiers plus un au gouvernement, ou je bloque tout. En d’autres termes, je bloque tout aujourd’hui pour pouvoir bloquer ce que je veux demain. Après avoir pris en otage sa propre communauté, le voilà qui met le pays tout entier dans son filet.

La déconstruction de l’accord de Taëf est aujourd’hui largement entamée et malgré les allusions à peine voilées des uns et les dénégations répétées des autres, toutes les actions passées et futures du Hezbollah ont pour objectif la la redistribution du pouvoir selon de nouvelles modalités. Tout le reste n’est que bavardage creux.

Pour rappeler que le vaincu est à la merci du vainqueur, surtout pendant les négociations qui suivent le combat, on utilise de nos jours l’expression latine « Vae Victis » (malheur aux vaincus), prononcée par le chef gaulois Brennos lorsqu’il vainquit Rome. Au Liban aujourd’hui, il serait plus judicieux de dire « Væ Victoribus » (malheur aux vainqueurs) et « Gloria Victis » !