Wednesday, January 17, 2007














Les Phobies Communicantes
Ou l'hydraulique des fluides confessionnels

Les communautés libanaises fonctionnent selon le principe des vases communicants (loi de la physique selon laquelle un liquide remplissant plusieurs récipients reliés à leur base par un tube occupe la même hauteur dans chacun des récipients quelle que soit leur forme). Expliquons-nous:

Chacune d'elles (quel que soit le nombre réel, rêvé ou intentionnellement gonflé de sa population) nourrit des phobies qui sont absolument nécessaires à sa cohésion, mais aussi et surtout à ce qu'elle croit être sa survie face aux autres communautés. Peu importe si celles-ci se répartissent occasionnellement en coalitions (forcément temporaires) pour mieux se défendre et faire prévaloir leurs "droits", chacune d'elle voit dans l'autre au mieux un adversaire, au pire un ennemi.

Dans les rares périodes de leurs histoires où elles ne s'entre-déchirent pas, ces communautés sont contraintes de procéder à des ajustements leur permettant d'établir un semblant d'équilibre qui n'est autre qu'une tentative, éternellement recommencée, de neutralisation de leurs phobies mutuelles. Cette neutralisation fait croire à chacune d'elles qu'elle peut ainsi atteindre la même "hauteur" que les autres dans les vases confessionnels.

Le conflit larvé qui oppose aujourd'hui les deux coalitions en présence nous en fournit une parfaite illustration. Examinons la répartition des principaux joueurs: une première coalition réunit des Sunnites, des Druzes et une partie des Maronites, l'autre, des Chiites et une autre partie des Maronites (les dissipations dans chaque camp sont, bien entendu, inévitables).

Maintenant que les équipes sont formées, voyons comment circulent les "fluides" confessionnels au sein de chaque coalition:

• Nabih Berri nourrit une suspicion légitime à l'égard du Hezbollah qui mène des négociations avec les saoudiens sans l'en informer. D'où son ouverture ostentatoire en direction d'Amine Gemayel pour faire comprendre à son encombrant frère en religion que trop, c'est trop !
• Michel Aoun ne cache pas sa défiance (voir ses attaques répétées contre les arrangements régionaux) à l'encontre du duo chiite qui le tient à l'écart des tractations qu'il conduit avec l'ambassadeur saoudien. Ce qui oblige le Hezbollah à en démentir l'existence (oh le vilain menteur !) pour calmer les inquiétudes du bouillant Général.
• Walid Joumblatt voit d'un mauvais œil les "ouvertures" incessantes de Saad Hariri en direction du Hezbollah, ce qui le conduit à accentuer ses attaques contre ce dernier afin de dissuader son co-équipier de faire trop la cour à l'ennemi commun.
• Emile Lahoud n'aime pas trop la "mollesse" de Nabih Berri et s'en est plaint auprès de son maître Bachar qui n'a pas tardé à lui adresser une sévère réprimande (l'Ogre syrien montre vite ses crocs aux esclaves indisciplinés).

Il ne sert à rien de rallonger inutilement cette liste fastidieuse. Il suffit de lire la presse, elle en regorge. Les incartades et les réponses "de berger à la bergère" entre coalisés donnent une idée des ajustements nécessaires pour atteindre la même "hauteur" dans les vases des phobies communicantes.

Mais il arrive souvent que les vases se cassent, alors le jeu s'arrête et ce sont les tueries qui commencent !