Wednesday, August 6, 2008












S'il te plaît, dessine-moi un peuple !

Grâce à la déclaration ministérielle, ce tissu d'incantations à somme nulle, il existe au Liban désormais trois entités distinctes qui viennent d'être placées juridiquement sur un même pied d’égalité: l’Armée, le Peuple et la Résistance. Nous savons déjà que la première ne pèse pas lourd face à la troisième, mais qu'en est-il de la deuxième ?

Admettons que les indépendantistes n'aient pas eu d'autre choix pour contrebalancer l'omnipotence du Hezbollah que le recours à une formule sémantique absconse. Admettons également que l'éclatement actuel du pays ne permet dans un "gouvernement d'union nationale" que de dire une chose et son contraire. Mais alors, pourquoi diable remettre en selle une notion (le peuple) dont plus personne n'en parle au Liban sans provoquer l'hilarité générale ?

Et d'abord, qu'est-ce qu'un peuple ? cette question a-t-elle un sens dans le capharnaüm libanais dont les communautés passent leur temps à s'entre-déchirer ? Les Libanais forment-ils un peuple tout simplement parce qu'ils sont nés sur le même territoire, ou parce qu'ils y cohabitent ? etc...

Ces questions simples n'ont pas de réponses évidentes. Pour contourner la difficulté, essayons de "dessiner" un peuple et procédons comme l'a fait avant nous Antoine de Saint-Exupéry dans son désert avec son "Petit Prince" et son mouton.

Première tentative: Un peuple est un "ensemble d'êtres humains vivant en société, habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre de coutumes, d'institutions". Certes, les Libanais sont des êtres humains, mais ils sont aussi capables des barbaries les plus bestiales. Ils habitent un territoire défini. C'est exact, mais leur territoire est loin d'être défini. Ils ont en commun un certain nombre de coutumes. C'est vrai, ils aiment, tous, la bonne chère, mais ils tuent aussi à la hache et se massacrent mutuellement, cela fait également partie de leurs coutumes. Ils ont en commun des institutions. C'est vrai aussi, mais aucune d'elles ne fonctionne. Échec de la première tentative !

Deuxième tentative. Un peuple est un "ensemble de citoyens qui forment une communauté". C'est une plaisanterie de mauvais goût, admettons-le, mais pourquoi devrions-nous s'interdire de rêver ? Échec immédiat de la deuxième tentative !

Troisième tentative: Un peuple est un "ensemble de personnes soumises aux mêmes lois". Les Libanais suivent bien une loi, mais une loi conçue exclusivement pour la jungle. Non seulement, ils s'y conforment unanimement, mais il leur arrive de s'en enorgueillir. Échec de la troisième tentative !

Faut-il continuer ? Ce serait perte de temps. Alors, faisons comme Saint-Exupéry, dessinons une caisse* et mettons-y tous les Libanais. Leur pays est déjà une caisse de résonance, ils ne s'y sentiront pas dépaysés !

Quant aux indépendantistes, doit-on absolument les blâmer parce qu'ils ont fait ce qu'ils ont pu ? Un malheureux qui se noie, cherche à s'agripper même à une paille de riz. Mais à toute chose, malheur est bon. Grâce à eux, nous disposons aujourd'hui d'un "peuple" tout neuf, prêt à se jeter vaillamment dans la bataille pour damer le pion à la résistance et lui disputer ses victoires.

* Après l'échec de plusieurs tentatives, Saint-Exupéry dessina une caisse et dit au Petit Prince que le mouton qu'il voulait était dedans.