Friday, May 26, 2006

Al-Istiz Nabih Berri
Ou l'art de s'offusquer pour mieux se dérober.


L'ensemble de la classe politique reconnaît à Nabih Berri sa capacité à négocier les grands virages et à en sortir toujours indemne. Opportuniste parmi les opportunistes, il a souvent réussi à tirer son épingle du jeu. Sous le régime de tutelle, il a constitué le rouage "institutionnel" indispensable pour faciliter le passage, en lois et en décrets, des dictats syriens. Après le retrait syrien, il a émergé comme l'unique candidat possible pour réoccuper son propre poste en dépit des révélations contenues dans le rapport Melhis sur son rôle d'exécutant docile des directives de Rustum Ghazalé (Monsieur "X").

Depuis ce retrait, Al-Istiz s'escrime en vain à se tailler un rôle qui le distingue de son puissant binôme chiite qui menace tout simplement de le digérer à la moindre incartade en dehors de la solidarité communautaire. Nabih Berri sait parfaitement bien que la moindre nuance pour marquer l'indépendance de son mouvement par rapport au Hizbullah risque dans le contexte actuel de le faire disparaître de la scène chiite, voire de la scène politique. Sur l'essentiel, il se tient donc coi et se contente de quelques gesticulations ridicules qui n'impressionnent plus personne pour se prouver à soi-même et pour convaincre les autres qu'il dispose d'une petite liberté de manœuvre pour échapper au contrôle vigilant de Nasrallah.

Dans ses relations avec la Syrie, il souffre d'un handicap encore plus contraignant. S'étant compromis jusqu'à la moelle avec le parrain protecteur, il n'est que trop conscient du prix à payer en cas d'incartade par rapport aux positions officielles syriennes. Il connaît par cœur et mieux que quiconque les basses œuvres du "pays frère" pour ne pas être tenté de se présenter en candidat spontané qui viendrait rallonger la liste des "martyrs" qui parsèment le chemin de la relation "fraternelle" avec Damas. Dans ce cas aussi, la seule position possible est la position horizontale.

Malgré cette double allégeance, Nabih Berri est obligé de constater que ses tentatives pour s'offrir une minuscule part d'autonomie s'amenuisent de jour en jour. Le régime syrien aux abois réclame toujours plus et pas moins que la soumission totale à ses initiatives de plus en plus délirantes. Soucieux de ne pas apparaître comme un simple jouet aux mains des Syriens (l'exemple d'un Wi'am Wahhab ou d'un Nasser Kandil doit sans aucun doute susciter son mépris), il ne lui restait plus comme palliatif que la fuite en avant.

L'affaire du mandat d’amener lancé contre Walid Joumblatt par la Syrie a donné l'occasion à Berri de jouer la scène la plus tragi-comique de sa carrière de "négociateur des virages difficiles".

En soutenant mordicus que les portes de Damas étaient grandes ouvertes à la visite de Siniora et en s'offusquant d'une question sur le sujet lancée par un député, pendant la séance parlementaire, Nabih Berri a piqué une colère aussi injustifiée que pitoyable pour torpiller la séance et se dérober ainsi à l'inéluctable vote qui l'aurait obligé à s'opposer ouvertement au dictat syrien.

Ne pouvant cautionner une décision qui aurait bafoué l'immunité parlementaire et voyant que ses explications procédurales tournaient dans le vide, il ne restait plus au pauvre Berri que la fuite.

Hélas, cette fuite le conduit à une impasse. L'acte II de cette farce se jouera mardi prochain. On se délecte à l'avance pour découvrir ce que le génie du duo chiite poussé dans ses derniers retranchements réussira à concocter cette fois-ci pour s'inventer une nouvelle dignité face aux hallucinations syriennes.