Friday, May 12, 2006

Baabda vaut bien une messe !
Les vicissitudes d'une obsession compulsive.


En lui collant le sobriquet de Tsunami, juste avant sa descente d'avion, Walid Joumblatt ne pouvait probablement pas prévoir l'étendue des ravages qui seront provoqués par celui qui allait devenir, en l'espace d'un an, l'un des principaux pourfendeurs de l'aggiornamento post-syrien du Liban.

Depuis cette date, les observateurs assistent médusés à la transformation frénétique et spectaculaire d'un personnage, qui fût l'un des plus farouches adversaires du "régime de tutelle", en allié objectif de ce régime et en marionnette consentante entre les mains du principal féal de Damas.

Toutes les analyses ont été tentées, y compris l'analyse freudienne, pour résoudre l'énigme qui a poussé le Général à dégringoler du podium sur lequel il pouvait continuer à caresser ses lauriers de précurseur jusqu'au marigot où il se croit être le roi des crocodiles alors qu'il ne représente qu'un simple batracien.

C'est entendu, nous l'avons parfaitement compris. Depuis quinze ans, Michel Aoun est rongé par une fixation maladive: recouvrer le poste dont il a été chassé par son ancien ennemi juré. C'est bien long quinze ans, mais les pathologies non soignées restent ancrées pour la vie.

Coup de théâtre ! Les troupes syriennes se retirent, mais au prix d'un drame national et par la seule volonté des grandes puissances. Le Général, fermement convaincu d'y avoir fortement contribué, commence à se frotter les mains, son rêve doit enfin pouvoir s'accomplir. Il s'y voyait déjà.

Deuxième coup de théâtre ! voilà que ses "compagnons de lutte" et ses adversaires, fraîchement convertis au souverainisme, lui contestent la primauté de l'acte libérateur et se mettent à vouloir lui barrer la route. Qu'à cela ne tienne ! les fixations maladives parviennent toujours à se frayer des chemins de traverse. Le Général va se jeter, armes et bagages, dans les bras de l'ancien ennemi. L'illustre Henri IV s'est bien converti au catholicisme pour accéder au trône de France, alors, Baabda vaut bien une messe, n'est-ce pas ? et puis, quelle belle revanche que de s'y faire introniser par le même ennemi qui l'en avait chassé auparavant.

L'homme est ambitieux. Pourquoi donc le Landerneau politique libanais s'agite tant ? Et puis, quoi de plus "naturel" qu'un homme politique soit ambitieux ? De tout temps et en tout lieu, l'ambition a été le premier ressort qui permet aux politiques d'escalader les marches du pouvoir. Le problème est que l'ambition de notre Général prend toutes les allures de l'obsession compulsive et eu égard à son passé, il n'est pas sûr qu'il puisse conduire vers le salut escompté un pays qui repose depuis sa fondation sur des équilibres métastables.

Frappé d'ostracisme par la coalition du 14 mars et par les grandes puissances qui jugent d'un mauvais œil son retournement spectaculaire, le "petit caudillo" des classes moyennes chrétiennes (lire ici la belle analyse de Hazem Saghié) a réussi à gagner motu proprio le soutien d'une grande partie de sa communauté toujours à l'affût d'un sauveur qu'elle croit capable de défendre ses intérêts.

Les autres fractions, qui nourrissent leurs propres phobies, se conduisent avec le même instinct de survie et cherchent à neutraliser, autant que faire se peut, celui qui menacerait de leur arracher leur part du gâteau.

En acceptant de participer à la manifestation du 10 mai (lire à ce sujet l'éclairage de Waddah Chrara), Michel Aoun a accompli l'ultime phase de sa conversion. Sa fuite en avant le conduit aujourd'hui à se ranger définitivement dans le camp adverse avec l'illusion fallacieuse d'avoir franchi quelques pas supplémentaires en direction du but tant convoité.

Ce ne sont que les derniers soubresauts d'un psychodrame dont nul ne connaît la durée et encore moins l'issue.